Mémoire en anthropologie

 

Étude anthropologique de la communication non verbale dans un « Donjon à Utilisateurs Multiples » (MUD) de l’'Internet

Mémoire de maîtrise

Étude anthropologique de la communication non verbale dans un " Donjon à Utilisateurs Multiples " (MUD) de l’Internet

Par Jean-Christophe Pelletier
jcpelletier@fougarou.com

Table des matières

Sommaire

Dans cet ouvrage, nous nous intéresserons à un type de communauté virtuelle trouvée dans l'INTERNET et plus particulièrement aux modes de communication utilisés par ses habitants. Ce type de communauté, connue sous le nom de Multi-User Dungeons (MUD), offre aux joueurs un espace virtuel imaginaire dans lequel ils interagissent entre eux sous la guise de personnages. Nous nous attarderons à un MUD particulier, mais représentatif du genre, nommé "The Two Towers" qui s'inspire du monde fantastique créé par J.R.R. Tolkien dans sa trilogie du "Seigneur des Anneaux". Ainsi cet espace peuplé d'orces, de dragons, de magiciens et de guerriers permet à ses utilisateurs de jouer un jeu de rôle complexe et d'établir des contacts sociaux entre eux. Ces contacts sociaux sont sous-tendus par les discussions qu'ils y entretiennent. Toutefois, la communication effectuée dans les MUDs possède une nature originale puisqu'elle est limitée au canal visuel et qu'elle ne se fait que sous une forme écrite. Par conséquent, les autres canaux de communication utilisés lors d'une interaction face-à-face tels les mouvements, le ton de voix ou le regard qui se regroupent sous l'appellation de canaux non verbaux et qui transmettent habituellement une grande part d'information, restent inaccessibles aux participants. Afin de pallier cette situation, les utilisateurs de ces milieux ont développé des modes de communication simulant les mécanismes usuels de communication non verbale que nous regrouperons dans la grande catégorie des emotes.

Ce mémoire vise à offrir aux lecteurs une image générale de la communauté et de ses structures, ainsi qu'une analyse approfondie de la forme qu'y prend la communication. Cette étude s'effectuera selon l'hypothèse qu'il est possible et profitable d'utiliser les méthodes et théories anthropologiques afin d'étudier ces milieux. Plus particulièrement, nous supposons que les comportements communicationnels observés dans The Two Towers peuvent être compris et analysés de façon satisfaisante grâce aux théories existantes sur la communication non verbale en interaction face-à-face.

Nous avons choisi l'observation participante comme méthode pour recueillir les données utilisées dans ce mémoire. Dans la première partie du mémoire, les données ont été analysées avec un approche ethnographique afin de produire un portrait de la constitution du MUD The Two Towers. La partie suivante du mémoire a été bâtie en utilisant les théories ethnolinguistiques portant sur la communication non verbale normale afin de caractériser et d'analyser les manifestations de la communication dans le MUD.

Grâce à ces méthodes, nous obtenons d'abord une ethnographie détaillée de The Two Towers. Nous y trouvons une description de ses habitants, de son environnement et de ses structures sociales. Nous obtenons aussi une analyse du processus de communication entre les joueurs ainsi qu'une catégorisation des différentes formes de comportements non verbaux observées dans ce MUD. À partir de ces résultats, il nous est possible de conclure que l'analyse ethnographique soustenue par l'observation participante est adaptée à l'étude d'un tel environnement. On peut aussi conclure que moyennant quelques modifications, les théories portant sur la communication non verbale en face-à-face peuvent être utilisées de façon concluante pour l'étude des comportements observés dans les MUDs. Une nouvelle voie d'étude est ainsi offerte aux chercheurs futurs qui choisiront d'explorer l'environnement des MUDs.

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Liste des abréviations

Dédicace

Remerciements

Introduction

Chapitre 1 : La Cyberanthropologie

I. Internet
II. La communauté et la culture de l’Internet
III. L'’impact de l'’Internet
IV. Les précurseurs
V. L'’intérêt anthropologique

Chapitre 2 : Les MUDs

I. Historique
II. Les caractéristiques des MUDs
A : Historique de The Two Towers
B : Le contexte de l’environnement vituel
C : Le contexte interactionnel
D : Le contexte social
E : le MUD en tant que jeu

Chapitre 3 : Les bases théoriques de la communication non verbale

I. Premiers pas
II. La communication non verbale dans les MUDs
A : L’interaction
B : La communication non verbale
C : La communication dans les MUDs
III. Résumé

Chapitre 4 : Les applications pratiques

I. La conversation dans The Two Towers
A : Le terrain
B : L’'analyse d'’une transcription
II. Les catégories d'’emotes
III. La triple structure de la communication humaine

Conclusion
Lexique
Bibliographie
Notes de bas de page
Appendice A : Liste de socials
Appendice B : Transcription brute

Université de Montréal
Étude anthropologique de la communication non verbale
dans un Multi-User Dungeon de l'Internet
par
Jean-Christophe Pelletier
Département d'anthropologie
Faculté des arts et des sciences
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures
en vue de l'obtention du grade de
Maître ès sciences (M.Sc.)
en anthropologie
Août, 1998
© Jean-Christophe Pelletier, 1998

Liste des abbréviations retour au début

MUD: Multi-User Dungeon (ou Domain).

T2T: The Two Towers

IRC: Internet Relay Chat

WWW: World Wide Web

Email: Electronic mail

P.S. Pour connaître la définition de ces termes voir le lexique.

 

Dédicace retour au début

Je dédie ce mémoire

à ma mère qui m'a toujours encouragé à écouter mon coeur,

à mon père qui m'a inculqué la rigueur de l'esprit,

au vieux druide qui m'a fait découvrir les étoiles, les arbres et l'étude de l'être humain.

 

Remerciements retour au début

Je tiens à remercier les professeurs Robert Crépeau (directeur) et Kevin Tuite (codirecteur) pour le rôle qu'ils ont joué dans ce mémoire, M. Michel Samson qui a lu et corrigé cet ouvrage, Mme. Geneviève LaPalme pour son soutien, M. Michel Pelletier pour ses judicieux conseils et Mme Josiane Cyr pour sa grande patience.

Introduction retour au début

L'Internet, phénomène informatique et humain à visée planétaire, nous est tombé entre les mains comme une pluie de météores. Chacune de ses facettes nous étant révélée prenait la forme d'une explosion merveilleuse de possibilités et de questionnements. Jusqu'à ce jour, l'éclat médiatique de ce super réseau a grandement ébloui notre esprit critique. L'attrait de la nouveauté nous a encouragé à l'explorer de façon superficielle. Toutefois, depuis quelque temps des individus curieux se sont questionnés sur la nature de l'Internet et sur l'impact qu'il a sur les personnes, les sociétés et les cultures qu'il touche. La présente étude tente de s'insérer dans ce courant critique.

S'inspirant de travaux précurseurs tels ceux de Sherry Turkle, Lynn Cherny et Howard Rheingold, le présent ouvrage tentera d'explorer un aspect de l'Internet d'un point de vue social. Plus précisément, nous étudierons le fonctionnement d'une communauté virtuelle de type MUD (Multi-User Dungeon: Donjons à usagers multiples). Ces MUDs sont des lieux virtuels où des gens se rencontrent afin d'interagir sous le couvert de personnages dans un environnement imaginaire. Tout en s'apparentant aux jeux de rôles traditionnels tels Donjons & Dragons, les MUDs possèdent une dimension supplémentaire du fait que les espaces virtuels et sociaux soutenus par ceux-ci dans le temps encouragent l'établissement de relations interpersonnelles dépassant celles créées lors de simples jeux. Cet aspect social retiendra notre attention au cours des premiers deux chapitres. En effet, nous nous questionnerons sur sa population, sur ses structures sociales et, plus particulièrement, sur les façons de communiquer offertes aux membres de cette communauté. Cette attention spéciale portée aux modes de communication vient de la singularité du médium communicationnel offert par le MUD. Ainsi, les communications dans le MUD s'effectuent sous une forme écrite et directe (le temps d'envoi et de réception des messages se situe en moyenne en deça d'une seconde). Cette situation diffère des conditions normales de communication. En effet, ce type de communication implique que les messages non verbaux normalement transmis par les canaux corporels lors d'interactions en face-à-face ne peuvent être perçus et utilisés par les interlocuteurs. Toutefois, cette lacune apparente poussa les utilisateurs de ces milieux à créer de nouveaux modes de communication afin de remplacer et même d'améliorer les canaux ainsi perdus. Cet aspect particulier de la communication dans les MUDs retiendra notre attention dans les chapitres trois et quatre, où nous tenterons d'analyser ces modes de communication à l'aide de théories adaptées.

Le but de cet exercice est double. D'abord, ce mémoire servira à présenter au lecteur cette manifestation sociale relativement jeune et peu étudiée que sont les MUDs. En deuxième lieu, ce mémoire démontrera, grâce à leur application pratique, l'utilité des concepts, méthodes et théories anthropologiques lors de l'analyse de ces milieux et des interactions y prenant place. Ce mémoire a été construit dans l'espoir qu'il devienne un point de départ pour toute personne désireuse d'entamer une exploration anthropologique ou autre des MUDs.

Les hypothèses de travail retenues dans ce mémoire seront les suivantes. Tout d'abord, nous posons l'hypothèse qu'il est possible d'utiliser à bon escient les méthodes anthropologiques de l'observation participante et de la description ethnographique afin d'analyser un MUD. Deuxièmement, nous posons l'hypothèse qu'il est possible et profitable d'utiliser les théories ethnolinguistiques portant sur les interactions, la communication interpersonnelle et plus particulièrement sur la communication non verbale élaborées dans un cadre de communication face-à-face et littéraire par des auteurs tels Kendon, Cosnier et Poyatos afin de comprendre et d'analyser les formes de communication observées dans un MUD.

C'est ainsi que la première partie du mémoire, composée des deux premiers chapitres, prendra la forme d'une ethnographie d'un MUD particulier. Le premier chapitre s'affairera à situer le phénomène des MUDs à l'intérieur de leur substrat qu'est l'Internet. Ainsi nous y aborderons l'historique de l'Internet en illustrant comment d'un simple projet militaire américain voué à l'arsenal nucléaire, ce super réseau informatique a su se développer en un milieu propice à l'échange d'idées et d'informations entre des milliers d'usagers répartis à travers le monde. Nous y découvrirons aussi comment cette transformation d'orientation encouragea l'apparition d'espaces virtuels voués au soutien de relations sociales entre les usagers du réseau.

Le deuxième chapitre présentera une ethnographie du MUD nommé The Two Towers dans lequel la collecte de données fut effectuée par observation participante tout au long de cette étude. Nous y découvrirons d'abord son environnement virtuel en exposant les moyens d'y pénétrer, de s'y déplacer et d'entrer en relation avec les éléments le peuplant. Nous aborderons ensuite son environnement interactionnel en illustrant les règles et méthodes permettant aux joueurs d'entrer en contact entre eux et de communiquer. Enfin, nous explorerons l'environnement social de The Two Towers en exposant les différents éléments de l'organisation sociale pouvant y être observés, telles les normes et les hiérarchies d'interactions ainsi que les structures les supportant.

Armé de cette compréhension du fonctionnement du MUD, nous entamerons le troisième chapitre qui portera particulièrement sur la communication non verbale. Nous y définirons d'abord le type d'interaction pouvant y être observé en le mettant en relation avec les autres types trouvés dans la vie mondaine. Nous aborderons ensuite les formes de communication dans le MUD. Enfin, nous analyserons, à l'aide des modèles élaborés par Poyatos pour la littérature, les formes de communication non verbale trouvées dans T2T [1] tout en mettant en évidence leurs caractéristiques distinctives.

Bâtissant sur les fondations théoriques élaborées dans le chapitre trois, le chapitre quatre nous permettra d'approfondir notre analyse du phénomène de la communication non verbale dans le MUD. Cet objectif sera atteint en illustrant de façon pratique le genre de questionnements auxquels il est possible de répondre grâce à des manipulations de données brutes. Le chapitre débutera par une présentation du terrain qui fut effectué afin de recueillir les données ainsi que des transformations préliminaires qui durent être effectuées sur ces dernières pour les présenter sous forme écrite. Nous exposerons par la suite une classification des différents emotes, forme non verbale usitée de la communication dans un MUD, élaborée par Cherny et illustrée à l'aide d'exemples tirés des données recueillies dans T2T. Nous terminerons ce chapitre en démontrant sommairement la prépondérance de la triple structure de la communication humaine, soit le langage, la kinésique et le paralangage, dans la communication au sein de T2T.

Chapitre 1: La Cyberanthropologie retour au début

Qu'est-ce que l'Internet? Qui l'a déjà étudié? Pourquoi mérite-t-il d'être étudié par les anthropologues? Selon quelles optiques pouvons-nous le faire? C'est à ces quatre questions que j'entends répondre brièvement dans ce chapitre. Pour ce faire, je débuterai en esquissant la jeune histoire du super réseau informatique qu'on appelle Internet. Puis je discuterai brièvement de la communauté, de la culture et de l'impact de l'Internet dans nos sociétés. Je présenterai ensuite trois ouvrages produits par des chercheurs en sciences sociales qui ont étudié ce nouveau phénomène et qui ont grandement influencé l'orientation de mes recherches. Je terminerai en identifiant les différentes voies possibles de recherche sociale sur le sujet.

I.Internet retour au début

Les premiers ordinateurs qui apparurent à la fin des années quarante (40) ressemblaient très peu à ceux que nous retrouvons aujourd'hui dans un nombre croissant de foyers occidentaux. Ces machines étaient énormes et elles remplissaient plusieurs chambres réfrigérées. Leur vitesse de traitement des données était environ mille fois moins rapide que la plus simple des calculatrices actuelles. Ils étaient considérés comme étant à la fine pointe de la technologie et leur coût d'utilisation était faramineux. C'est pourquoi seules les universités, les organisations commerciales et les agences gouvernementales pouvaient se les procurer. Cet état de fait en limitait l'utilisation aux mathématiciens, physiciens et ingénieurs militaires dont les travaux et les recherches requéraient leurs capacités de calcul. D'ailleurs, à cette époque, les ordinateurs étaient exclusivement perçus comme des outils de résolution de calculs mathématiques répétitifs. Toutefois, ils possédaient une limite majeure, soit celle de ne permettre qu'à un seul opérateur de les utiliser à un moment précis, ce qui les rendait peu rentables. De plus, l'entrée et la sortie des données étaient faites sur des cartes perforées et ces deux opérations ne pouvaient être effectuées en même temps.

Durant la même période, de jeunes étudiants au Massachusetts Institute of Technology expérimentaient pendant leur temps libre avec un ordinateur, nommé PDP-1. Peu puissant et par conséquent non utilisé par les chercheurs sur place, il avait été prêté par la compagnie Digital Equipement Corporation à l'institution. Il possédait deux caractéristiques particulières: un écran et un clavier. Avec cet ordinateur, les étudiants créèrent le premier jeu d'ordinateur intitulé Spacewar auquel on jouait en tentant de frapper, à l'aide d'un canon, des vaisseaux spatiaux apparaissant à l'écran. La création de ce jeu fit naître un nouveau paradigme de l'informatique puisqu'il impliquait une interaction directe et instantanée entre l'ordinateur et son utilisateur, chose qui était jusqu'à ce jour impossible de faire et qui allait mener, au début des années 70, à l'apparition du premier ordinateur personnel nommé Alto par la compagnie Xerox PARC. Lorsque cette nouvelle parvint aux oreilles des autorités du MIT, elles allèrent voir ces informaticiens en herbe et leur demandèrent de trouver une solution à l'engorgement des ordinateurs de l'institution causé par un nombre toujours grandissant d'utilisateurs. Ils se mirent à travailler à la fabrication d'un système permettant l'utilisation simultanée de ces ordinateurs par plusieurs opérateurs. Leurs recherches aboutirent à la création des premiers systèmes munis de terminaux, composés d'un clavier pour l'entrée des données et d'un écran pour la sortie de celles-ci, qui reliaient simultanément plusieurs utilisateurs à un même ordinateur central. Rapidement, ce nouveau système supplanta les anciens. Ainsi venait de naître l'ancêtre des réseaux informatiques.

En 1969, le Advanced Research Projects Agency, branche du Département de la Défense américaine, décida de créer un réseau informatique reliant plusieurs ordinateurs (nodes) dans différentes institutions. Ce réseau fut appelé ARPANET. Le premier ordinateur à y être branché fut celui de l'Université de Californie de Los Angeles. Rapidement, plusieurs autres organisations universitaires, commerciales et gouvernementales s'y joignirent et commencèrent à échanger de l'information. Sous la pression de plusieurs organisations, l'ARPANET se scinda en deux en 1983: ARPANET se voua à la recherche et MILNET aux usages militaires. Avec l'apparition des nouvelles technologies de télécommunications (satellites, fibres optiques, etc.), l'ARPANET se transforma en un réseau international aujourd'hui appelé l'INTERNET qui regroupe des milliers de réseaux ordinateurs à travers le monde et leurs utilisateurs respectifs. Déjà en 1990, l'Internet comptait 7500 réseaux informatiques différents situés dans plus de 75 pays et liant entre 5 et 10 millions d'utilisateurs (RHEINGOLD 1993: 79).

Le but premier de l'ARPANET était de permettre, en cas de guerre nucléaire, l'échange de fichiers et la prise de contrôle à distance des ordinateurs. Les utilisateurs de ce réseau, principalement des chercheurs, désiraient également l'utiliser pour communiquer avec leurs collaborateurs. C'est ainsi que les concepteurs du réseau introduisirent deux outils de communication: l'un permettant l'envoi de messages entre utilisateurs de façon asynchronique [2], le courrier électronique, et un autre en permettant l'envoi synchronique, talk. Cependant, dès la deuxième année d'existence du réseau, les concepteurs durent se rendre à l'évidence que contrairement à leurs prévisions, les utilisateurs s'en servaient moins pour avoir accès aux ressources des ordinateurs éloignés que pour communiquer des informations pertinentes à leurs recherches ou tout simplement pour se donner des nouvelles.

L'ordinateur n'étant plus uniquement considéré comme un outil de calcul et de stockage de données, plusieurs nouvelles applications de communication inspirées du courrier électronique et de talk, firent leur apparition dans l'Internet. Usenet en est une qui s'inspira du courrier électronique. En 1979, quelques étudiants des universités Duke et de Caroline du Nord aux États-Unis, développèrent un programme qui permettait de transmettre entre les deux universités des messages électroniques envoyés dans le cadre de discussions de groupe. Bien que ressemblant au courrier électronique, il permet le regroupement des messages par thèmes et s'assure de leur acheminement aux personnes intéressées [3]. Ce réseau à prime abord n'était pas lié à l'Internet, mais utilisait plutôt son propre protocole pour transmettre les messages. Toutefois, avec l'augmentation de son affluence, il devint nécessaire d'utiliser le super réseau.

Du programme talk émergèrent des moyens plus performants et essentiellement différents, connus sous les noms d'Internet Relay Chat (IR,C) créé en 1988 par Jarkko Oikarinen de l'université de Oulu en Finlande, et de Multi-Users Dungeons (MUD), créé en 1980 par Richard Bartle à l'université d'Essex. L'IRC est un programme qui permet à des utilisateurs du monde entier d'entretenir simultanément des milliers de discussions. On peut le comparer à un couloir rempli de portes au-dessus desquelles un sujet spécifique de discussion est affiché. Ces portes mènent à des salles dans lesquelles n'importe qui peut pénétrer pour discuter. Les sujets sont multiples et vont du jardinage aux méthodes de prévention du sida. Les MUDs sont basés sur le même principe bien que leurs utilisateurs doivent évoluer dans un monde virtuel imaginaire sous le couvert de personnages. Les MUDs sont des jeux de rôles dans lesquels les joueurs peuvent explorer le monde virtuel qui leur est présenté, tout en partageant leurs expériences avec d'autres joueurs se trouvant dans la même situation. Comme l'explique E. Reid (1994: 9), ces nouvelles utilisations de l'Internet marquent un changement dans la perception du rôle de l'ordinateur. Tandis que les formes asynchroniques de communication (Email, Usenet, etc.) ont fait leur apparition pendant une période où l'ordinateur était perçu comme un outil, les nouvelles formes de communication simultanées (Talk, IRC, MUD) naquirent d'une perception de l'ordinateur comme milieu propice à la communication et comme environnement permettant des interactions sociales.

II.La communauté et la culture de l'Internet retour au début

Suivant cette nouvelle perception de la communication par ordinateur, on tenta de définir l'Internet, comme c'est souvent le cas, à l'aide de concepts préexistants tels ceux de société, communauté et culture. L'auteur qui me semble avoir le mieux cerné la définition de l'Internet est Tim North qui effectua lors de sa maîtrise une ethnographie de l'Internet et de Usenet. En effet, il se demanda si les utilisateurs de l'Internet et de Usenet formaient une société possédant une culture distincte. Il en vint à la conclusion que ces réseaux ne pouvaient pas être perçus comme formant une société indépendante. Ceci est dû au fait que ces super réseaux ne fournissent pas à leurs utilisateurs plusieurs éléments essentiels habituellement fournis par une société, tels l'approvisionnement en nourriture et un abri. Ces besoins sont remplis par les sociétés réelles dans lesquelles les utilisateurs de l'Internet vivent, ce qui mène Tim North à dire que l'Internet et Usenet forment une "[...] société superstructurale qui entre en contact avec plusieurs sociétés réelles et qui est dépendante de celles-ci pour la continuation de son existence. Tout en héritant de plusieurs éléments culturels des sociétés qu'elle englobe, cette société superstructurale supporte tout de même sa propre culture distincte" [4] (North 1994: 64). La culture de l'Internet, selon North, emprunte plusieurs éléments des cultures des utilisateurs du réseau telles les langues de communication. Toutefois, de nombreux éléments culturels distincts peuvent être identifiés dans l'Internet, ce qui fait dire à North qu'une culture distincte existe dans l'Internet et Usenet. Certains des éléments particuliers à cette culture que l'auteur identifie sont:

1.L'utilisation de certaines conventions d'écriture particulières, tels les emoticons qui transmettent les états émotifs de l'émetteur d'un message (ex. [ :-) ] ).

2.La présence d'un ensemble complexe de conventions et connaissances communément appelé la netiquette, qui dicte aux utilisateurs ce qu'ils peuvent faire ou non.

3.Les manquements à la netiquette peuvent être sanctionnés par les autres utilisateurs par des moyens allant de la réprobation écrite (flames) au recours aux autorités des sociétés terrestres (ex. lois et police).

4.Une économie principalement dictée par la réciprocité (North 1994: 64)

Cette description de l'Internet et de sa culture, bien que de façon généralement pertinente, nous offre une vision quelque peu biaisée de la réalité. En effet, l'auteur a concentré son ouvrage sur l'Internet en général tout en mettant un accent particulier sur Usenet. Cependant, Usenet ne représente en fait qu'une des nombreuses communautés virtuelles pouvant être trouvées dans l'Internet. Par conséquent, elle possède des normes et des éléments culturels qui pourront ne pas être les mêmes que dans une autre communauté comme IRC ou un MUD. Afin de bien comprendre comment s'organisent l'Internet et ses regroupements sociaux, il est d'après nous nécessaire de les voir comme une superstructure qui soutient différents espaces virtuels (Usenet, IRC, MUD, email, WWW, etc.) [5] ayant chacun une culture leur étant propre et à l'intérieur desquels on retrouve des communautés d'individus de plus en plus serrées qui partagent des sous-cultures graduellement plus spécifiques (voir figure 1,1).

Figure 1,1: L'organisation schématisée de l'Internet.

Légende: WWW: World Wide Web

IRC: Internet Relay Chat

MUSH, MUCK, MOO: Types de MUDs

Un utilisateur de l'Internet peut par conséquent faire partie de différentes communautés virtuelles en même temps et osciller entre elles à volonté. Pour ce faire, il devra apprendre les normes particulières de chaque espace virtuel ou de chaque communauté auquel il désire se joindre. Il est par conséquent plus juste de parler des communautés de l'Internet plutôt que de sa communauté. Toutefois, si nous désirons avoir une idée approximative du portrait des personnes qui le fréquentent, il est possible d'avancer que la majorité possède une certaine maîtrise d'une des quelques langues de communication qu'on y trouve, avec une prédominance de l'anglais. Les utilisateurs doivent aussi avoir accès au matériel informatique leur permettant d'intégrer l'Internet ce qui explique pourquoi, jusqu'à ce jour, la plupart des utilisateurs provenaient d'institutions académiques, gouvernementales et commerciales. Toutefois, l'avènement de l'ordinateur personnel dans un nombre toujours grandissant de foyers a favorisé l'intégration de nombreux d'individus faisant partie de la population en général.

Pour nous donner une idée du genre de distribution démographique qui peut être observé de façon générale dans l'Internet, nous pouvons observer les résultats d'un sondage qui fut effectué par la compagnie SRI international en 1995 chez les utilisateurs du World Wide Web. Cette recherche distingue deux groupes principaux représentant chacun 50% des utilisateurs: le groupe avancé (upstream) et le groupe moyen (mainstream). Le groupe avancé est formé d'individus scolarisés qui travaillent dans des domaines académiques ou techniques (scientifiques, professeurs, ingénieurs). Dans ce groupe, on trouve 77% d'hommes pour 23% de femmes, et 97% d'entre eux aurait au moins une éducation de niveau collégial. Dans le groupe moyen qui englobe 50% des utilisateurs du Web, la majorité sont des étudiants ou des personnes diplômées travaillant dans des domaines techniques, administratifs ou professionnels. Soixante-dix pour-cent (70 %) d'entre eux sont âgés de moins de 30 ans. Ce groupe est formé de 64% d'hommes et de 36% de femmes. La moyenne de la division des sexes dans le Web est de 70% d'hommes et 30% de femmes (SRI international 1995: 2-3).

Bien que cette étude porte particulièrement sur les utilisateurs du World Wide Web, elle nous permet d'avoir une vue approximative des utilisateurs actuels de l'Internet. Toutefois, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, ce portrait démographique est différent dans une communauté virtuelle spécifique comme par exemple un MUD.

III.L'impact de l'Internet retour au début

Avec l'apparition de l'Internet dans un nombre toujours croissant de sociétés, il est légitime de se questionner sur l'impact qu'il a sur celles-ci. Impliquant la participation de millions d'individus répartis dans diverses parties du monde, il engendre des changements importants dans plusieurs domaines. Par exemple, les applications de l'Internet telles le courrier électronique, le World Wide Web, Usenet et les MUDs ont un impact sur notre façon de communiquer. Les processus normaux sont bouleversés par ce nouveau médium et de nouvelles habitudes sont développées par les utilisateurs pour s'adapter (ex. emoticon, flames).

De plus, les espaces virtuels créés dans l'Internet, comme les MUDs, ont un impact sur la définition identitaire de leurs utilisateurs. Lorsqu'il est possible pour une personne d'interagir avec d'autres sous la guise d'un personnage dont elle peut manipuler, incognito, toutes les caractéristiques qui, dans nos sociétés, sont pratiquement immuables (ex. sexe, âge, traits physiques), alors les valeurs culturelles liées à des concepts identitaires et sociaux aussi importants que peut être le sexe d'un individu, deviennent des éléments personnels malléables avec lesquels les joueurs peuvent explorer leur identité.

L'Internet a aussi un impact sur notre façon d'interagir avec les autres. De nouveaux comportements et normes doivent être appris par les nouveaux utilisateurs afin de s'insérer dans la grande communauté de l'Internet. Par exemple, une des normes de communication amplement répandue dans l'Internet est celle concernant l'envoi de messages excessivement longs ou jugés de piètre qualité (ex. publicité, messages d'insultes). En effet, ces messages qualifiés de spam sont bien mal reçus par la majorité des utilisateurs et par conséquent, un néophyte devra apprendre à ne pas en produire.

L'Internet a de plus un impact sur nos sociétés. En effet, de par sa nature internationale décentralisée, il remet en question les unités géographiques et sociales que sont la société, la nation, le pays, etc. Il engendre aussi un questionnement sur la nature des normes et lois qui sont généralement soutenues par des assises géographiques (ex. la pornographie infantile est interdite aux États-Unis, mais n'est pas règlementée dans d'autres pays. Si un site Internet situé à l'extérieur des États-Unis contient cette pornographie, les autorités américaines ont-elles le pouvoir de l'interdire?).

Enfin, l'Internet pourra éventuellement avoir un impact sur la nature des classes sociales qu'on retrouve dans nos sociétés. En effet, comme semble l'indiquer l'étude menée par la compagnie SRI international dans le WWW, le facteur primordial qui semble influencer l'accès des individus à l'Internet n'est pas, comme dans plusieurs secteurs de nos sociétés, le niveau économique de ceux-ci mais plutôt leur niveau d'éducation [6]. Il serait par conséquent possible que dans l'avenir une séparation apparaisse entre des individus ayant accès à l'Internet et à l'information qu'il contient et les individus n'y ayant pas accès. Des mesures seront-elles prises pour éviter cette situation? Ce sont de nouvelles questions d'éthique qui se posent à nos sociétés, semblables à celles que posent le clonage en bio-technologie.

Les impacts rapidement esquissés plus haut ne sont que quelques exemples de l'effet que peut avoir l'Internet sur les individus et les sociétés. Il ne reste plus qu'à voir quelle ampleur ce phénomène prendra, mais il nous est déjà possible d'observer des changements appréciables dans les structures culturelles actuelles. En tant qu'anthropologues, nous sommes stratégiquement positionnés pour analyser ces nouvelles valeurs, ces nouvelles structures sociales et culturelles, ces nouvelles formes d'interaction qui sont engendrées par ce super réseau. Les outils développés par des générations de chercheurs avant nous peuvent être utilisés efficacement si nous faisons simplement un effort pour les adapter et en vérifier l'applicabilité et la pertinence aux nouveaux espaces et cultures qui nous sont offerts. Afin d'illustrer quelque peu comment certains chercheurs s'y sont pris afin de débuter leur exploration de l'Internet, je vous présente certains précurseurs et une partie de leur travaux dans la section qui suit.

IV.Les précurseurs retour au début

Starr Roxanne Hiltz et Murray Turoff, professeurs en sciences des ordinateurs et de l'informatique au New Jersey Institute of Technology furent des précurseurs dans le domaine de l'analyse sociale de la communication par ordinateur. En effet, en 1978, ils publièrent un ouvrage intitulé The Network Nation traitant des impacts personnels, sociaux, politiques, culturels et technologiques de la communication par ordinateur. Cet ouvrage classique aborde les processus psychologiques et sociaux liés à l'utilisation des systèmes informatiques de conférence, comme la réduction des canaux de communication, la dépendance psychologique, le niveau de participation, etc. Il s'intéresse aussi aux applications possibles de cette technologie à la gestion du personnel dans les entreprises, à la communication pour les handicapés, à la démocratie par ordinateur. Enfin, cet ouvrage étudie l'impact de ce phénomène sur l'évolution des sciences, des technologies et sur la société en général. Bien qu'aujourd'hui quelque peu désuet, le travail effectué par ces deux chercheurs incita plusieurs autres à approfondir le sujet, suivant leurs intérêts et spécialités.

Pour sa part, Sherry Turkle, professeure en sociologie de la science et psychologue clinique, apporta à l'étude des phénomènes sociaux de l'Internet sa perspective psychologique particulière. Dans son dernier ouvrage intitulé Life on the Screen: Identity in the Age of the Internet (1995), elle s'intéresse aux différentes facettes des interactions observées dans les MUDs. Elle porte une attention particulière à la façon qu'ont les utilisateurs de ces espaces virtuels de définir leur identité. En effet puisque ce médium offre la possibilité aux joueurs de créer des personnages tout à fait imaginaires dans un anonymat quasi total, plusieurs en profitent pour explorer au-delà des frontières habituelles de l'identité que sont le sexe, l'âge et la race. L'auteure analyse comment ces joueurs réagissent et utilisent ces nouvelles possibilités en se basant sur des données recueillies par observation directe et par interviews. Ses résultats la mènent à conclure que les nouvelles identités construites par les utilisateurs des MUDs sont décentralisées et multiples.

Inspirée par le même objet, Lynn Cherny, étudiante au doctorat à l'Université de Stanford, s'est intéressée entre autres à l'utilisation des fonctions de communication appelées "emotes" par les joueurs des deux sexes sur les MUDs dans un article intitulé Gender Differences in Text-Based Virtual Reality (Cherny 1994). Ces fonctions informatiques, sur lesquelles nous élaborerons dans les prochains chapitres, permettent aux joueurs de simuler des comportements non verbaux. Ainsi élabore-t-elle une classification des différents "emotes" et s'en sert-elle pour observer leur fréquence d'utilisation. Mais contrairement à certaines affirmations voulant que la communication par ordinateur offre un milieu sans conventions préétablies et permettant des interventions équitables pour les utilisateurs des deux sexes étant donné l'absence d'indices physiques ou sociaux, Cherny découvrit qu'il existait une différence marquée entre la façon d'interagir des utilisateurs masculins et féminins. En effet, après avoir observée les communications d'un MUD pendant trois mois, elle remarqua que les joueurs masculins avaient tendance à utiliser des fonctions physiquement plus violentes que les joueuses tandis que ces dernières utilisaient un plus grand nombre de fonctions représentant des comportements d'affection.

V.L'intérêt anthropologique retour au début

Les auteurs et leurs ouvrages présentés ci-dessus ne représentent que quelques exemples marquants du type de recherche pouvant être mené sur l'Internet. Toutefois, ils s'insèrent dans un plus grand mouvement scientifique qui considère, comme l'explique Arturo Escobar dans son article intitulé Welcome to Cyberia: Notes on the Anthropology of Cyberculture, que "toute technologie représente une invention culturelle, en ce sens qu'elle engendre un monde; elle émerge de conditions culturelles particulières et éventuellement aide à en créer de nouvelles" (Escobar 1994: 211). C'est suivant cette prémisse qu'Escobar entreprend une revue des différentes approches anthropologiques actuellement utilisées par les chercheurs pour l'étude des nouvelles technologies ainsi que des voies à suivre pour l'établissement d'une anthropologie de la cyberculture. Il débute en précisant que pour lui la cyberculture est composée des nouvelles technologies de deux domaines précis, soit l'intelligence artificielle (ordinateurs et informatique) et la biotechnologie (génétique, etc.). D'après l'auteur, plusieurs grands questionnements anthropologiques s'appliquent à l'étude de la cyberculture: "Quelles nouvelles formes de construction sociale de la réalité et de négociation de ces dernières sont crées ou modifiées par les nouvelles technologies?[...]Quels concepts et méthodes anthropologiques sont appropriés à l'étude de la cyberculture?[...]Quelles pratiques modernes forment la compréhension actuelle, la planification et les modes d'interaction de la technologie?[...]Quelle est l'économie politique de la cyberculture?" (Escobar 1994: 214). Pour Escobar, ces grands questionnements peuvent être réunis en cinq grands domaines élémentaires et préliminaires de recherche ethnographique. Le premier domaine de recherche engloberait les facettes de la production et de l'utilisation des nouvelles technologies (Comment travaillent les chercheurs? Qui sont les utilisateurs?). Le second domaine aborderait l'étude des communautés créées par la communication médiatisée par ordinateur (Comment ces groupes s'articulent-ils? Comment définir ces groupes?). Le troisième domaine ethnographique pourrait s'intéresser, selon Escobar, aux impacts qu'ont les nouvelles sciences et technologies sur la culture populaire (Comment influencent-ils l'imagerie et le vocabulaire populaires?). Le quatrième domaine aborderait l'évolution et le développement de la communication médiatisée par ordinateur en relation avec la langue, la communication, les structures sociales et l'identité culturelle (Quels sont les comportements linguistiques et communicatifs développés et utilisés par les utilisateurs de l'Internet? Quels types de relation peut-on observer entre les utilisateurs des réseaux informatiques?). Enfin le cinquième domaine de recherche ethnographique s'attarderait à l'économie politique de la cyberculture (Qui détient le pouvoir sur les nouvelles technologies et leur application? Les pays non industrialisés ont-ils accès à la cyberculture? Quelle est la relation entre l'économie et la science?) (Escobar 1994: 217-221).

Cette succincte énumération de voies de recherches possibles nous montre à quel point le phénomène de la cyberculture offre un terrain fertile pour la recherche anthropologique. Phénomène humain nouveau, l'Internet nous pousse à nous questionner, à redéfinir, à réévaluer plusieurs concepts que nous avions pris pour acquis jusqu'à ce jour. C'est dans cet esprit que ce mémoire à été rédigé. Mon questionnement s'insère dans ceux esquissés par Escobar. Je m'interroge sur la possibilité d'utiliser les modèles et théories élaborés pour l'étude de la communication non verbale lors d'interactions habituelles pour comprendre comment s'articulent certains aspects de la communication entre individus dans les communautés virtuelles appelées MUDs. Mais avant de le faire, je devrai définir et expliquer l'objet que j'ai choisi d'étudier, un MUD appelé The Two Towers. Le prochain chapitre sera consacré à cette présentation.

Chapitre 2: les MUDs retour au début

Dans ce deuxième chapitre, je tenterai de cerner le phénomène des MUDs. J'identifierai d'abord ce qu'ils sont. Puis, j'esquisserai l'histoire de leur apparition et de leur développement. Je m'intéresserai ensuite à leurs caractéristiques générales que j'identifierai en donnant des exemples tirés du MUD que j'ai choisi d'étudier dans ce mémoire, The Two Towers. J'offrirai donc d'abord un court historique de ce MUD, puis poursuivrai en identifiant les caractéristiques environnementales des MUDs, soit le thème, les personnages, les salles et les objets. J'aborderai ensuite le contexte interactionnel en identifiant les méthodes offertes aux joueurs pour communiquer. Je terminerai en peignant le portrait des structures sociales pouvant être trouvées dans le MUD The Two Towers, soit la hiérarchie sociale, le système judiciaire et les guildes de joueurs.

Les MUDs (Multi-User Dungeons) sont des mondes virtuels informatiques accessibles par l'INTERNET et dans lesquels plusieurs joueurs, sous le couvert de personnages, interagissent simultanément entre eux et avec leur environnement virtuel. Cet espace virtuel ainsi que les interactions entre joueurs y prenant place sont régis par un programme informatique installé sur un serveur relié à l'INTERNET. Ces programmes sont en fait une forme de banque de donnée (Mudlib de MUD library) contenant les descriptions de salles, d'objets et de personnages qui composent le MUD ainsi que les règles logiques prescrivant leurs interrelations (ex. si X touche Y, alors Z). Les joueurs interagissent avec cette banque à l'aide de commandes informatiques prédéfinies (ex. get, kill, say). La présentation des données se fait selon une interface particulière. En effet, cet environnement leur est présenté sous forme de descriptions écrites comme celle-ci:

Exemple 2,1: La présentation de l'environnement

This is the entrance to the small town of Hobbiton. It's actually a
fairly rustic place with little of beauty anymore since they put the new mill

in. A cross road leads north to Bag End and south to the Great East Road, while

this road goes west into a cemetery and the town and east, over the hills, to

Bywater. The smell of the new mill chokes you even from here.

The only obvious exits are south, north, west and east.

(notes de terrain: 1997)

Toutefois, le rôle des programmes de MUD ne réside pas seulement dans leur capacité de régir l'infrastructure spatiale et logique de leurs différentes composantes ( grid deamon), mais aussi dans leur capacité à soutenir les interactions entre joueurs. En effet, les participants, majoritairement composés de jeunes hommes scolarisés (Curtis 1992: 5), s'y retrouvent principalement dans le but de se divertir et d'entrer en contact avec les amis et connaissances qu'ils se font dans ces espaces. Ces interactions, souvent soutenues, engendrent un esprit de communauté entre les joueurs. Par conséquent, on y trouve des structures sociales inspirées de la réalité ou détenant un caractère original qui régissent les échanges entre joueurs. Je reviendrai sur ces caractéristiques un peu plus loin dans ce chapitre, mais tout d'abord j'aimerais esquisser l'évolution de ces nouveaux espaces sociaux virtuels.

I.Historique retour au début

La plupart des auteurs s'étant intéressés à ce phénomène (Reid 1994, Bartle 1990, Curtis 1992) s'entendent pour lier l'apparition de ce type d'espaces virtuels aux jeux informatiques ayant vu jour au début des années 70 dans les universités américaines et anglaises. Elizabeth Reid, dans son mémoire sur le sujet, nous apprend que Donald Woods, un chercheur au Laboratoire d'Intelligence Artificielle de Stanford, fut un des premiers à créer un tel programme d'ordinateur, nommé ADVENT (éventuellement connu sous le nom d'Adventure) (Reid 1994: 9). Les joueurs devaient, à l'aide de leur ordinateur, y explorer un monde fantastique inspiré de la trilogie du "Seigneur des anneaux" de J.R.R. Tolkien, tout en vainquant des monstres et en surmontant des pièges qui leur étaient tendus. Cet environnement virtuel leur était présenté de façon écrite à l'aide de descriptions. De plus, seulement un joueur à la fois pouvait interagir avec le programme.

Ce type de jeu connut un grand succès et il se répandit à travers le monde. À la fin des années 70, avec l'adhésion croissante des universités et autres organisations à l'ARPANET, certains concepteurs se mirent à expérimenter avec les concepts de réseaux et d'interactivité. Ainsi en 1977, Jim Guyton, développa un jeu, Mazewar, dans lequel plusieurs joueurs devaient simultanément se traquer à l'intérieur d'un labyrinthe virtuel dans le but de s'éliminer. Ce dernier inspira la création de plusieurs autres jeux, tel WIZARD, dans lesquels les joueurs pouvaient non seulement entrer en compétition, mais aussi s'entraider et converser. Les ancêtres des MUDs venaient de naître.

Le premier MUD fut créé par Roy Trubshaw et Richard Bartle dans les années 1979 et 1980 à l'Université d'Essex, en Angleterre. Ils choisirent le nom Multi-User Dungeon[7] en raison d'un jeu de type adventure nommé DUNGEN qui connaissait une grande popularité à ce moment et qui influença leur conception. MUD1 offrait aux joueurs un monde tolkinien dans lequel ils devaient trouver des trésors et combattre des monstres ainsi que les autres joueurs afin d'accumuler des points leur permettrant d'acquérir de plus grands pouvoirs. De plus, il offrait la possibilité aux joueurs de développer le monde dans lequel ils évoluaient en programmant de nouveaux sites et objets. Toutefois, cette option fut éventuellement retirée à cause de sa grande utilisation par les joueurs, ce qui causait une pression sur les ressources informatiques restreintes du MUD. Bien que ce MUD ait connu une faible popularité, il incita plusieurs joueurs à produire les programmes de MUDs qu'on peut aujourd'hui trouver dans l'INTERNET (TinyMUD, MOO, MUCK, etc.).

D'après Pavel Curtis , ce qui différencie MUD1 et ses successeurs des jeux d'ordinateurs tel Adventure, se résume en trois points:

- Les MUDs n'imposent pas un but préprogrammé aux joueurs. Il n'existe ni de début, ni de fin. Les joueurs sont libres d'agir sans ordre chronologique particulier [8].

- Les MUDs peuvent grandir de l'intérieur grâce aux efforts de programmation des joueurs qui créent de nouveaux objets et espaces à découvrir.

- Plusieurs joueurs peuvent accéder simultanément aux MUDs. Ces derniers peuvent interagir entre eux et avec l'environnement qui est en constante transformation étant donnée l'influence qu'ont les joueurs sur celui-ci. (Curtis 1992: 2)

Aujourd'hui les MUDs, basés sur le même principe que MUD1, forment un type de MUD appelé MUD d'aventure. Tel qu'expliqué plus haut, ils s'inspirent habituellement de mondes tirés de romans fantastiques (Le Seigneur des anneaux, Pern, etc.) ou de science-fiction (Star Wars, Star Trek, Cyberpunk, etc.). De plus, ils sont souvent construits suivant la prémisse que le monde virtuel est dangereux. Dans ce type de MUD, le but du jeu est de permettre à son personnage, grâce aux capacités personnelles du joueur, d'atteindre des niveaux supérieurs qui lui confèrent des pouvoirs spéciaux de contrôle sur son environnement virtuel. Chaque joueur se trouve donc en compétition avec les autres pour l'obtention du pouvoir sur lequel est basée la hiérarchisation de leurs relations, de leurs identités de joueurs. Cette réalité implique souvent des combats contre les forces qui entourent le personnage et, bien que la plupart des MUDs encouragent l'acquisition de niveaux par la destruction de monstres créés par le programme d'ordinateur, il existe des MUDs où les joueurs peuvent se battre entre eux. Ces combats entre joueurs sont nommés "PKills" (Player killings). Toutefois, une forme de coopération entre joueurs existe et dans la plupart des MUDs, les plus expérimentés sont encouragés à transmettre leur connaissance aux néophytes (communément appelés Newbie). De plus, tout comme dans les MUDs du deuxième type, l'intérêt de ces espaces virtuels se trouve dans la possibilité qu'ont les joueurs d'interagir entre eux et de bâtir des relations (amicales pour la plupart, mais parfois amoureuses ou hostiles).

Les MUDs du deuxième type sont appelés MUDs sociaux. Le premier MUD de ce type apparut en 1989 lorsqu'Alex Cox, un joueur expérimenté de MUD1, développa son propre programme nommé TinyMUD. Contrairement aux MUDs d'aventure, ce nouveau jeu s'articulait selon un principe de créativité et non pas de compétitivité. En effet ce premier MUD ainsi que ceux qui évoluèrent à partir de lui (MOO, MUSH, MUCK) furent construits pour permettre aux joueurs d'exprimer leur imagination en créant des objets, des lieux et des personnages virtuels à l'aide de commandes informatiques qui, dans les MUDs d'aventure, sont généralement réservées aux joueurs les plus expérimentés (Wizards ou Gods). Ainsi le but recherché est l'encouragement des interactions entre les joueurs et la production imaginaire de ceux-ci et non pas l'acquisition de points et de pouvoirs. Toutefois, selon Reid (1994: 45), une certaine hiérarchie liée à la popularité des joueurs peut y être observée.

II.Les caractéristiques des MUDs retour au début

Les deux types de MUDs partagent différentes caractéristiques communes. Toutefois, puisque j'ai choisi d'étudier la communication non verbale dans un MUD d'aventure anglophone nommé The Two Towers, je me contenterai d'exposer celles-ci en ne tenant compte que du point de vue des MUDs d'aventure.

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A.Historique de The Two Towers

L'idée fondatrice du MUD The Two Towers naquit en janvier 1994 dans l'esprit de quatre jeunes étudiants américains au collège Florida Institute of Technology. Trois d'entre eux, Rob, Todd et Steve, étaient tous des programmeurs de haut niveau dans un MUD appelé Silicon Realms, qui s'inspirait de fantastique et de science-fiction. Insatisfaits de l'atmosphère régnant dans ce MUD, ils se mirent à rêver à la création de leur propre MUD. Rob croisa alors David qu'il avait déjà rencontré sur le campus et qu'il savait être un programmeur sur un MUD inspiré des films Star Wars appelé KoBra. Il lui fit part de son projet de créer son propre MUD et David s'y intéressa. Ils se rencontrèrent alors un vendredi du mois de janvier 1994 afin de discuter de la forme que prendrait le nouveau MUD. C'est à ce moment que le thème de la trilogie The Lord of the Rings de Tolkien fut proposé. Ils commencèrent dès lors à planifier la structure informatique du programme et en mars 1994, ils acquirent l'accès à un serveur de l'université de Stanford où ils débutèrent la programmation. Ils étoffèrent le programme jusqu'au mois de septembre 1994 date où le MUD fut ouvert au public. Depuis ce jour, The Two Towers continue de grandir et est aujourd'hui un MUD mature qui attire constamment de nouveaux joueurs de par la qualité de ses interactions sociales et de sa programmation. D'après un sondage mené par les administrateurs de T2T (appelés gods) entre le 13 janvier et le 20 février 1997, le joueur type pouvant y être trouvé est un jeune homme âgé entre 13 et 21 ans, toujours aux études soit à l'école secondaire (high school) ou au collège (college undergraduate). Le MUD est maintenant situé sur un site privé à l'adresse suivante: towers.angband.com 9999.

Passons maintenant à l'analyse des caractéristiques des MUDs en abordant d'abord le contexte environnemental entourant l'expérience de jeu vécue par les joueurs.

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B.Le contexte de l'environnement virtuel

Le sens d'un mot, d'un geste, d'une situation ou d'un symbole nous est offert par le contexte englobant ces derniers. Aucun de ces éléments ne possède un sens intrinsèque libéré de tout référent environnemental. Dans la vie, notre éducation nous a pourvus des outils nous permettant de décoder le contexte entourant les interactions que nous vivons à l'intérieur de notre culture. Toutefois, lorsque nous voyageons et entrons en contact avec d'autres cultures, nos outils de décodage, non adaptés à cette nouvelle situation, cessent d'être précis. Des malentendus liés à une mauvaise évaluation du contexte peuvent alors survenir. Afin de pallier ce problème, il est alors nécessaire d'effectuer un apprentissage des normes et des règles régissant l'établissement du contexte dans cette nouvelle culture. Ce problème rencontré lors de voyages est aussi vécu par les joueurs néophytes d'un MUD (newbie). En effet, ce nouveau médium d'interaction nous étant présenté sous une forme écrite seulement, il remet en question nos façons traditionnelles, en partie fondées sur des perceptions physiques sensorielles, d'appréhender le monde. De plus, comme nous le verrons plus loin, certains éléments primordiaux que nous utilisons régulièrement afin d'évaluer le contexte d'interaction, telle l'identité sexuelle d'une personne, prennent une toute autre valeur dans ces espaces virtuels. Par conséquent, les nouveaux joueurs devront, s'ils désirent interagir de façon adéquate avec l'environnement virtuel et ses habitants, identifier le contexte général du MUD dans lequel ils espèrent jouer et éventuellement faire l'apprentissage des règles d'interaction y prévalant.

Le contexte général est appelé thème par les joueurs d'un MUD. Il régit le type d'objet, de lieu, de personnage, de comportement qu'il est possible et acceptable d'y trouver. Ainsi, s'il est inspiré de la science-fiction, il sera "normal" de trouver un fusil-laser et de pouvoir se déplacer à l'aide d'un vaisseau spatial. Par contre, s'il est plutôt fantastique, le fusil-laser sera remplacé par une épée magique et le vaisseau par un destrier.

Dans le cas de T2T, le thème est basé sur l'oeuvre de J.R.R. Tolkien. Le monde y est appelé Arda et sa géographie est copiée de la carte de la terre du milieu offerte par Tolkien dans ses livres. La chronologie d'Arda se situe entre le deuxième et le troisième livre de la trilogie du "Seigneur des Anneaux" [9]. Ainsi, une guerre y fait rage entre les forces du mal contrôlées par Sauron le demi-dieu et les forces du bien qui regroupent les races des hommes, des elfes, des nains et des hobbits. La magie y est présente et on y vit et survit par l'épée.

Les joueurs de ce MUD entrent d'abord en contact avec le thème tolkinien lors de la création de leur personnage. Il leur est alors présenté brièvement à l'aide d'une courte description.

Exemple 2,2: Une description de personnage.

Ilian has the somber look of a man who has seen too much in his short life.
His dark hair is long and unkept and his expression is often blank.

He has dedicated the rest of his days to the extermination of Saurons minions and

the legalization of drugs. He will not rest until his goals are completed. "."

He is carrying:

A flail (wielded).

A wooden shield (worn).

A message stone.

(notes de terrain: 1998)

Une fois le personnage créé, le joueur peut s'informer sur le thème en lisant des fichiers qui sont accessibles à l'aide de la commande help. Ces fichiers traitent de la nature du monde, des races qui y vivent, des fonctions leur permettant d'interagir avec le monde et ses habitants et de bien d'autres choses. De plus, le nouveau joueur doit mener son personnage à travers une quête préprogrammée qui lui enseigne de façon pratique les commandes de base lui permettant de se déplacer, de combattre et de communiquer dans le MUD. Une fois cette quête complétée, il peut explorer le monde à sa guise et se familiariser avec le type d'environnement dans lequel il évolue. Enfin, s'il le désire, le joueur peut aussi lire les romans de Tolkien afin d'obtenir une vision plus complète du thème.

C'est donc lors de la création de son personnage que le joueur entre d'abord en contact avec le thème du MUD. Dans le cas de T2T, cette opération s'effectue en plusieurs étapes. Le joueur doit tout d'abord choisir un nom pour son personnage. Ce geste est primordial car ce nom sera le premier élément avec lequel les autres joueurs entreront en contact lors d'une rencontre. La première impression d'une rencontre sera d'abord donnée par ce nom, puis, les joueurs pourront explorer d'avantage les caractéristiques virtuelles du personnage à l'aide de la commande look et de la description de celui-ci. Les noms choisis, tel que l'indique Reid (Reid 1994: p. 50), peuvent être familiers (Chris), tirés de romans (Sherlock) ou représentatifs de concepts (Amour) [10].

Le sexe du personnage est le deuxième élément devant être choisi par les joueurs. Dans le cas de T2T, les choix offerts se limitent au genre masculin et féminin. Dans d'autres MUDs, des genres autres que masculins et féminins sont offerts aux joueurs. En effet, dans certains, il est possible pour un personnage de posséder un genre neutre ou encore hermaphrodite ou tout simplement de ne pas avoir de genre. Dans ces MUDs, on tente d'offrir aux joueurs des personnages et par conséquent un registre d'interactions qui leur permettent soit de se soustraire aux conventions sociales normalement liées au sexe des interlocuteurs, soit au contraire de les explorer en les observant d'un point de vue inusité. Toutefois, comme l'indiquent des études telles celles menées par Herring (1993,1995, et surtout 1994), Stone (1993), We (1993), Cherny (1994) et Turkle (1995), bien que ces mécanismes d'évasion soient offerts par le médium, les conventions liées au sexe des personnes sont pour l'instant toujours profondément ancrées chez les individus et, par conséquent, importées par ceux-ci dans ces espaces virtuels.

Quelles que soient les possibilités offertes, le choix du genre du personnage peut avoir des impacts sur les types d'interactions que le joueur entretiendra avec les autres joueurs. En effet, une polémique existe autour de ce qui est appelé le jeu transsexuel (cross-gender playing). Ceci se produit lorsqu'un joueur choisit de jouer le rôle d'un personnage du sexe opposé. La réaction semble plus forte lorsqu'un utilisateur masculin crée un personnage féminin. Certains utilisateurs se sentent trompés par cette pratique et considèrent qu'il est moralement malhonnête de mentir aux autres sur son sexe réel. Cette réaction prend souvent racine dans le traitement particulier que reçoivent les personnages féminins sur les MUDs. En effet, la composition majoritairement masculine de la population des utilisateurs rend la présence de femmes sur les MUDs une occurrence rare et excitante. Les joueurs masculins ont souvent tendance à être galants ou à courtiser ces personnages féminins, d'où le sentiment de tromperie ressenti lors de la découverte d'un joueur "transsexuel". Par contre, certains utilisateurs considèrent que la possibilité de se mettre dans la peau virtuelle d'un membre de l'autre sexe offre la chance de vivre des expériences nouvelles et intéressantes.

Je suis d'accord pour dire, comme le fait Reid (1994: 52), que la difficulté qu'ont certains joueurs à accepter l'incertitude des sexes dans l'environnement virtuel vient d'une circonstance précise de rapprochement existant entre le genre réel et le genre virtuel. Il existe une distanciation, entre les classes et les races réelles et leurs homologues virtuels que nous aborderons plus loin, qui n'existe pas dans le cas du genre. De plus, le sentiment de tromperie et la peur du jeu "transsexuel" peuvent être expliqués par la possibilité que chaque joueur, un jour, en vienne à entretenir une relation plus intime avec un autre dans ce monde virtuel. Cette réaction pourrait aussi être due à l'importance du rôle joué par les genres lors de l'établissement des interactions personnelles. Les comportements et les discussions seront souvent influencés par le genre d'un interlocuteur lors d'une rencontre normale. Cette incertitude causée par l'environnement du MUD peut donc créer un inconfort pour un individu qui ne saura quel registre comportemental adopter lors d'une rencontre virtuelle. Toutefois, cette polémique semble peu présente dans T2T. Selon une administratrice du MUD, les joueurs semblent accepter le jeu transsexuel comme faisant partie des jeux de rôles qui y sont encouragés. Cette tolérance est peut-être due au fait que dans ce MUD d'aventure, l'accent est porté sur le jeu de rôles imaginaires et diversifiés à l'intérieur desquels le jeu "trans-sexuel" n'est qu'un rôle parmi d'autres, tandis que dans d'autres MUDs, tels les MUDs sociaux, l'accent est mis sur les rencontres interpersonnelles sans que le recours à l'imaginaire comme aspect ludique ne soit présent dans l'esprit des participants. Cette hypothèse mériterait d'être vérifiée dans des recherches futures.

Une fois le genre du personnage choisi, le joueur devra décider de la race de son personnage. Les races disponibles sont dictées par le thème du MUD. Certains MUDs offrent des races animales (tigre, chat, souris), d'autres des races tirées de romans (Klingon, Vulcain) et d'autres n'offriront que la race humaine. Dans T2T les races possibles sont tirées des romans de Tolkien et sont les suivantes: Hobbit, Dwarf (nain), Dunlending (humain), Dunedain (humain), Silvan (elfe), Sindar (elfe). Le choix de la race influencera les aptitudes particulières du personnage. En effet, certaines races sont mieux adaptées à certaines classes professionnelles. De plus, la race influencera les langues initiales comprises et utilisées par le personnage.

À ce moment, la constitution du personnage est complétée. Un nombre initial de points lui est alors attribué par le programme pour ses attributs physiques (strength (force), agility (agilité), coordination (coordination), constitution (endurance)) et psychologiques (charisma (charisme) et intelligence (intelligence)). Ces points s'insèrent dans un système numérique permettant au programme du MUD de gérer les niveaux de puissance des personnages et ceux des éléments auxquels ils feront face. En comparant les niveaux de forces des personnages à ceux de leurs antagonistes (monstres, trappes, serrures), le programme est en mesure de décider si les personnages ont les capacités de triompher ou non d'obstacles et d'adversaires. Par conséquent, ils influencent chacun à sa façon les actions pouvant être prises par le personnage et la réussite de ces dernières (ex. frapper avec une épée, lancer un sort).

Le joueur pourra de plus, après avoir passé à travers la quête d'initiation de son personnage, l'étoffer davantage en effectuant deux étapes de plus. D'abord, le joueur pourra composer la description du personnage qui sera présentée à tout personnage le regardant. Il pourra décrire l'image de son personnage qu'il entend offrir aux autres joueurs. Cet élément du personnage est très important car cette description servira souvent à donner une première impression aux autres joueurs qui rencontreront ce personnage dans le MUD. Toutefois, l'importance qui lui est accordée n'est pas la même pour tout joueur. Certains se contenteront d'offrir une description sommaire du personnage, relatant leur physique ou une caractéristique seulement, tandis que d'autres pourront écrire une description très détaillée de l'aspect physique, psychologique et comportemental de ce dernier. Comme l'indique Curtis (1992: 7), plusieurs joueurs utilisent cette description pour satisfaire des fantasmes personnels en créant des personnages possédant des caractéristiques qu'ils désireraient avoir [11]. Les joueurs vont d'ailleurs souvent faire évoluer ces descriptions avec le personnage afin d'offrir une image toujours adaptée à la conception intérieure qu'ils ont de celui-ci. Bien qu'aucune règle explicite ne soit offerte aux joueurs, il en existe tout de même quelques unes implicites concernant la forme que doit prendre la description d'un personnage. D'abord, il est recommandé de limiter la longueur de la description à trois ou quatre lignes. De plus, il est mal vu de créer une description hors thème pour un personnage. Dans un monde fantastique peuplé de dragons et de sorciers, la description de personnage présentée dans l'exemple suivant ne serait sans doute pas bien acceptée par les autres joueurs:

exemple 2,3: Une description hors-thème d'un personnage:

Un énorme robot fait d'argent se dresse devant vous. Il tient dans sa main un énorme pistolet à neutron. De ses yeux lasers, il vous dévisage rudement et vous dit: "Bonjour...Tzzzk...Takkk...".

Dans certains MUDs, le personnage d'un joueur pourra être étoffé davantage en lui choisissant une profession. Ainsi, le personnage acquerra certaines capacités et connaissances qui pourront l'aider dans son développement. Dans le cas de T2T, les professions offertes sont les suivantes: Wizard (magicien), Fighter (guerrier), Ranger (coureur des bois), Thief (voleur), Assassin (assassin), Sheriff (shérif) ou tout simplement Civilian (civil) qui implique qu'aucune profession n'a été choisie.

Tableau I: les caractéristiques des personnages.
 

RACE: ATTRIBUTS: PROFESSIONS:
Hobbit  Strength (force) Wizard (magicien)
Dwarf (nain) Agility (agilité) Fighter (guerrier)
Dunlending (humain) Coordination Ranger (coureur des bois)
Dunedain (humain) Constitution (endurance) Thief (voleur)
Silvan (elfe) Charisma (charisme) Assassin 
Sindar (elfe) Intelligence Sheriff (sherif)
    Civilian (civil)

Chacune des professions offre des avantages et des inconvénients particuliers sous la forme d'habiletés possédées ou non (ex. le magicien peut lancer des sorts mais ne manie pas très bien les armes). Une valeur numérique est liée à chaque habileté et indique le niveau d'efficacité de celles-ci. Ces valeurs augmentent d'elles-mêmes lorsque les habiletés sont utilisées. Toutefois, les joueurs peuvent les faire augmenter en allant voir un personnage secondaire (voir MOB plus loin) contrôlé par le programme qui, en échange de quelques pièces d'or, les "entraînera" dans l'habileté voulue. Ce sont ces mêmes MOBs qui permettront au personnage d'accéder aux niveaux supérieurs de sa profession à condition d'accumuler assez de points d'expérience (ex.: 10000 points pour le sixième niveau) et de posséder la moyenne des attributs appropriés (ex.: moyenne de 40 pour le sixième niveau). À chaque niveau est associé un titre et une valeur numérique représentant les points de vie (Hit points) et les points d'endurance (Endurance points). Les points de vie quantifient la vie du personnage et sont utilisés lorsque le personnage entame un combat. Ils permettent alors au joueur de voir la quantité de points qu'il reste à son personnage avant qu'il ne meure. Les points d'endurance servent à montrer la quantité d'énergie pouvant être utilisée afin de prendre des actions (ex. lancer un sort demande un certain nombre de points d'endurance). Un personnage meurt lorsque ses points de vie atteignent zéro. Dans ce cas, le personnage perd un nombre prédéfini de points d'expérience, de points d'attributs et de points d'habiletés. Après être allé dans un cimetière se "reposer", il ressuscitera et pourra se remettre au travail afin de récupérer les points perdus lors de sa mort.

Le thème influence l'ensemble des composantes du MUD, soit les espaces, les objets et les personnages. Dans T2T, ces composantes sont présentées suivant une structure précise. Les objets et les personnages se trouvent toujours à l'intérieur d'un espace défini (ex. une salle) qui est lié aux espaces adjacents par des passages. En voici un exemple dans lequel j'ai identifié, entre parenthèses, les différents types d'objets observés dans T2T sur lesquels j'élaborerai un peu plus loin:

Exemple 2,4: la présentation d'une salle

This is the Bywater General Store. All manner of supplies can be (O.Déco.)
purchased here. Odds and ends of every sort are hanging from hooks (O.Déco.)

and packed into bins. Things used to be a lot better here before all those (O.Déco.)

problems started in the Shire. As supplies dwindled Manny has started to

carry more gear for those hasty people who wish to adventure. Other than

the strange smell of herbs and leather, this shop has a pleasant atmosphere.

There is a small painted sign here. (O.Déco.)

The only obvious exit is east. (Sortie)

A short staff (O.Lib.)

Alinte the sindar Apprentice (Moral) (Pers.)

An odd little key on a string (O.Lib.)

A torch (O.Lib.)

Manny the shopkeeper waits for your order. (MOB)

A trash can (O.Anc.)

(notes de terrain: 1997)

N.B. Les caractères gras utilisés dans le texte sont de moi.

Légende: O.Déco. = Objet décoratif
O.Lib. = Objet libre

Pers. = Personnage

MOB = Objet interactif

O.Anc.= Objet ancré

Les lieux pouvant être explorés dans T2T sont principalement inspirés des romans de Tolkien. Toutefois, on y retrouve certains sites n'ayant très peu ou pas du tout été élaborés par l'auteur dans ces oeuvres. Ces créations originales suivent tout de même strictement le thème tolkinien (on n'y trouvera pas de discothèque par exemple!). Les salles et espaces sont tous interreliés et les joueurs les explorent en se référant aux quatre points cardinaux. Les différentes sorties y sont aussi indiquées (voir exemple plus haut: "the obvious exit..."). Le joueur n'a qu'à taper la direction dans laquelle il désire se diriger et il se retrouvera dans le nouveau site approprié (ex. north ou n [12]: permet d'entrer dans la chambre située directement au nord). Le description de l'espace ainsi que de ce qu'il contient à première vue est automatiquement offerte au joueur lorsqu'il y pénètre. Une fois à l'intérieur, il peut se mettre à explorer les objets et les personnages y étant présents.

Les objets sont régis, tout comme les espaces, par le thème du MUD. On ne trouvera pas une tondeuse à gazon électrique dans un château médiéval. De plus, il existe différentes catégories. Je les catégorise comme suit, soit les objets décoratifs de fond et d'avant-plan, les objets ancrés, libres et interactifs (MOB pour Mobile objects).

Les objets décoratifs sont présents dans la description de l'espace exploré. Ils ont donc été programmés avec la salle et forment une partie intégrale de celle-ci. Par exemple, si une table est mentionnée dans la description d'une salle, on peut tenter d'acquérir plus d'information sur cette dernière à l'aide de commandes telles look, touch, read, push, etc. Si la table est un objet décoratif de fond, aucune autre information sur elle ne pourra être acquise. Toutefois, si elle est un objet décoratif d'avant-plan, elle aura été programmée en conséquence et le MUD pourra offrir d'autres informations la concernant comme sa texture, sa forme ou les inscriptions pouvant être trouvées à sa surface.

Exemple 2,5: la manipulation d'un objet décoratif d'avant-plan

You stand in a dimly lit hallway, which is wide and echoing.
Torches line the walls in brackets and their light casts a reddish

glow. A portrait hangs on the north wall.

The only obvious exits are north, east, south and west.

A longstem rose

> look torches

They glow with a pale red hue and the flames dance about

causing shadows to fill this corridor. These torches even give

the portrait an eerie presence. You feel like you are being watched.

(notes de terrain: 1998)

Ces nouveaux éléments pourront, s'ils ont été programmés pour le faire, être explorés de la même manière et ainsi offrir de plus amples informations. Toutefois, ce qui donne leur qualité décorative à ces objets est le fait que les personnages ne peuvent les prendre et les transporter sur leur personne. Ces objets se trouvent donc dans la description afin d'informer et rien de plus. Il arrive tout de même qu'un joueur découvre un objet pouvant être transporté , donc libre, en explorant les objets décoratifs d'avant-plan d'une salle (ex. "en poussant la table vous trouvez une pièce d'or sous une de ses pattes.").

Ce qui nous amène à discuter des objet libres. Tel que montré dans l'exemple ci-dessus, ceux-ci sont immédiatement observables lorsqu'on entre dans la salle (sauf pour l'exception tout juste mentionnée). Ils ne font donc pas partie intégrante de la description de la salle. Bien qu'il soit possible d'acquérir de l'information à leur sujet à l'aide de commandes comme look ou read, ils peuvent aussi être manipulés de façon plus poussée. En effet, des commandes comme get, take, wield, wear permettent au personnage de les prendre sur lui et de les transporter où il le désire. Ces objets possèdent habituellement une fonction pratique précise. Ils peuvent servir à se défendre (ex. vêtements, armure), à se battre (ex. épée, couteau) ou à remplir un quelconque besoin (ex. torche, livre, nourriture, pièce d'or). De plus, une valeur monétaire leur est souvent associée. Les joueurs pourront aller les vendre à des endroits précis afin d'acquérir des pièces d'or qui leur permettront de se procurer d'autres objets ou, tel que mentionné plus tôt, d'augmenter leurs caractéristiques personnelles. Les joueurs sont d'ailleurs encouragés à les vendre avant de terminer leur session de jeu car tout objet possédé par un personnage à ce moment sera laissé sur place [13]. Pour ces raisons pratiques et monétaires, la quête de ces objets constitue une des activités principales du jeu.

Les objets ancrés représentent en fait une forme hybride entre les objets décoratifs et libres. En effet, bien qu'il soit impossible de les sortir de la salle où ils se trouvent, ils possèdent habituellement une fonction utilitaire précise. On peut ainsi trouver des poubelles dans certaines salles qui permettent aux joueurs de détruire les objets libres qu'ils ne désirent pas garder. Ce geste permet d'alléger la charge de travail imposée au grid daemon qui doit régir et gérer la localisation de tout objet.

La dernière catégorie d'objet est très particulière car elle chevauche aussi la catégorie des personnages. En effet, les objets interactifs ou MOBs sont des personnages secondaires contrôlés par le programme du MUD. Ils ont la forme d'un personnage ordinaire car on peut voir leur description et explorer certains de leurs détails à l'aide de la commande look. De plus, certains ont la capacité de se déplacer de salle en salle. D'autres encore parlent. Par exemple, dans le marché général de Hobbiton présenté dans l'exemple 2,4, Manny le vendeur réagit comme suit lorsque quelqu'un lui achète un article:

Exemple 2,6: une action d'un MOB.

>buy sword
ok

Manny tells you: Will there be anything else?

(notes de terrain: 1998)

De plus, certains possèdent des objets libres ou des pièces d'or qui peuvent être convoités par les joueurs. C'est alors que les joueurs vont souvent tuer ces personnages afin d'acquérir leurs possessions [14]. Cette façon de procéder est tout à fait légale dans le jeu et est même encouragée car c'est le seul moyen d'acquérir des points d'expérience, lesquels sont nécessaires pour atteindre les niveaux supérieurs personnels. Mais, comme nous le verrons dans la section D de ce chapitre portant sur la structure sociale, le fait de tuer un vrai personnage contrôlé par un joueur est considéré comme un crime passible d'une peine sévère. Le choix des victimes va aussi influencer le type de moralité, appelé alignement, que le personnage du joueur aura. En effet, si un personnage tue constamment des orcs ou des bêtes considérées comme méchantes suivant le thème du MUD, son alignement sera qualifiée de moral. Toutefois, si celui-ci tue surtout des MOBs "bons", il sera affublé d'un alignement immoral. Par contre, l'interaction avec un tel objet peut s'effectuer à un niveau autre que celui de l'agression. Certains MOBs sont programmés pour réagir à certains stimuli ou actions. Par exemple, un chien (MOB) bloquant le passage pourrait être amadoué par un morceau de viande (objet libre) lui étant offert (action). Ce type d'interaction est souvent nécessaire afin d'accomplir des quêtes préprogrammées qui requièrent l'accomplissement d'une série d'actions dans un ordre déterminé. Ces quêtes seront effectuées pour différentes raisons, comme obtenir des pièces d'or ou des objets libres de grandes valeurs ou encore afin d'accéder à des niveaux personnels plus avancés.

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C.Le contexte interactionnel

 

Tel que mentionné plus haut, les joueurs participent à un MUD principalement afin d'entrer en contact avec d'autres personnes dans un contexte stimulant. Toutefois, puisque de nombreux joueurs communiquent simultanément entre eux, des mécanismes ont été développés afin de gérer ces différentes conversations. Des commandes spécifiques permettent d'envoyer des messages aux partenaires choisis. Elles sont différentes d'un MUD à l'autre mais elles suivent toutes des règles générales. Tout d'abord, tous les messages sont transmis par un médium écrit à l'aide du clavier et du moniteur d'un ordinateur. De plus, il est possible de les classer en deux catégories: les commandes à communication verbale et les commandes à communication non verbale. Les commandes "verbales" permettent l'envoi de messages écrits de nature conversationnelle, et peuvent être comparés aux élocutions observées lors de la lecture d'un dialogue dans un roman (ex. You say "Salut comment vas-tu?") [15]. Les commandes "non verbales" permettent de transmettre des messages décrivant les états émotif, psychologique, corporel et autres du personnage (ex. You roll on the floor with laughter.).

Dans le cas de The Two Towers, les commandes verbales sont les suivantes: tell, say, whisper, comm et shout [16]. La commande tell ou " permet l'envoi d'un message à un personnage en particulier quel que soit son emplacement dans le monde virtuel. Par exemple, si j'écris "tell (ou ") Marie Salut, comment vas-tu ?", Marie recevra le message suivant "Jean-Christophe tells you " Salut, comment vas-tu ? "" qu'elle soit dans la même salle que mon personnage ou non. Par contre, la commande say permet la transmission d'un message à plusieurs personnages à condition qu'ils soient présents dans la même salle que mon personnage à ce moment. La commande whisper permet d'envoyer un message personnel à quelqu'un se trouvant dans la même salle que soi mais, contrairement à tell, les autres personnages se trouvant dans la salle à cet instant pourront percevoir l'échange (un message disant: "Jean-Christophe whispers something to Marie" apparaîtra à leur écran.). La commande comm permet d'émettre un message sur le canal public [17]. Seuls les personnages ayant ouvert ce canal pourront recevoir le message envoyé. Enfin, la commande shout permet d'envoyer un message à tous les personnages branchés dans le MUD où qu'ils soient. L'utilisation de cette commande est restreinte, par convention sociale, aux cas d'urgence seulement et toute personne ne respectant pas cette consigne se le fera rappeler par les autres. En effet, son utilisation est considérée comme dérangeante par les joueurs, puisqu'un message envoyé de cette façon atteindra probablement des personnes non impliquées et pourra avoir des conséquences néfastes concrètes sur certaines actions entreprises par d'autres joueurs (ex. il brisera la concentration d'un magicien en train de lancer un sort). D'ailleurs, chaque message envoyé à l'aide de comm et de shout requiert quelques points d'endurance, donc s'ils sont trop utilisés, le personnage devra attendre de récupérer assez de points pour envoyer un autre message au moyen de ces canaux. Il existe aussi d'autres canaux de communication ressemblant à comm qui sont utilisés par les dieux ou les membres de certains groupes sociaux (ex. guilds) (Voir section D plus loin). Toutefois, leur utilisation est très restreinte et c'est pourquoi je ne les aborderai pas ici. Enfin, lorsqu'un joueur utilise les commandes say ou shout, il peut contrôler la langue qu'il utilise. Tout personnage sait parler la langue commune appelée Westron. Toutefois, certains personnages peuvent parler d'autres langues. En effet, à chaque race, sauf hobbit, est associée une langue particulière qui peut être parlée par ses membres. De plus, il est possible, pour un personnage, d'apprendre les autres langues en achetant les services d'un personnage secondaire qui les connait (un MOB). Leur utilisation est très simple. Un personnage désirant envoyer un message en Aldaic par exemple donnera d'abord la commande au programme afin de changer de langue. Le joueur pourra alors taper son message comme il le fait habituellement (ex. en anglais). Les personnages possédant cette langue recevront le message tel quel. Toutefois, les autres verront apparaître sur leur écran un charabia (ex. le mot "maison" deviendra "htffolo").

Pour ce qui est de l'émission des messages non verbaux, il existe trois méthodes utilisées par les joueurs de T2T: les commandes emote, semotes (ou socials) et les conventions d'écriture. La commande emote (ou [:] comme raccourci) permet d'envoyer une ligne de texte précédée du nom de son personnage soit à ceux se trouvant dans la même salle que soi, soit à ceux se trouvant sur le canal public comm (la syntaxe serait alors [^:] ) [18]. Par exemple, si j'écris "emote says bonjour!", les personnages m'entourant recevront le message suivant "Jean-Christophe says bonjour!". J'aurais toutefois pu utiliser la commande say afin d'obtenir le même résultat. Mais il m'est aussi possible, et c'est là l'utilité primordiale de cette fonction, d'écrire la phrase suivante "emote écarquille les yeux d'étonnement." ce qui aura comme effet d'envoyer le message suivant aux personnages m'entourant "Jean-Christophe écarquille les yeux d'étonnement". La nature des messages envoyés n'a comme limite que l'imagination du joueur. En effet, un joueur pourra faire effectuer à son personnage des choses incroyables comme marcher sur le plafond ou voler. Et puisque la réalité de ce monde virtuel n'est présentée que sous forme écrite, les actions décrites à l'aide de ces fonctions deviennent réalité. Toutefois, comme nous l'indique Carlstrom dans son texte intitulé The Communicative Implications of a Text-Only Virtual Environment, or,Welcome to LambdaMOO! (1992: 9), il existe différents degrés de réalité à l'intérieur d'un MUD. En effet, certaines actions comme kill ou give possèdent une fonction qui permet d'enclencher un mécanisme à l'intérieur du programme du MUD qui aura un effet direct sur le ou les personnages (ex. kill permet d'attaquer un personnage et de lui faire perdre des points de vie). Par contre, les gestes décrits par un emote ou un social n'ont aucun effet "réel" sur les personnages qu'ils visent (si un joueur emote ceci : tue Marie, Marie ne mourra pas pour autant). Mais puisqu'un des plaisirs du jeu dans un MUD vient de la possibilité qu'ont les joueurs d'entrer dans la peau d'un personnage afin de jouer leur rôle de façon divertissante, ceux-ci réagiront souvent aux gestes décrits dans les emotes comme si leur personnage les ressentait vraiment. De plus, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, les communications et les emotes en particulier peuvent provoquer des réactions émotives réelles chez les joueurs. Les commandes semotes (venant de soul emotes), habituellement appelées socials, sont pour leur part dérivées du principe d'emote. Elles sont en quelque sorte des emotes préprogrammés. Par exemple, la fonction laugh émettra automatiquement le message suivant aux autres présents "Jean-Christophe rolls on the floor with laughter". Elles sont utilisées principalement afin de sauver du temps puisque bien qu'il soit possible d'émettre le même message avec emote, dans le cas des socials seulement un ou deux mots sont requis. De plus, il est possible pour chaque joueur d'individualiser les socials à son goût. Ainsi, un joueur le désirant pourra changer l'émission du social: laugh à "Jean-Christophe laughs loudly". Une liste des socials de base est placée dans l'appendice A. J'inclus dans la catégorie des conventions écrites tous les symboles et façons de présenter le texte qui permettent aux joueurs de transmettre volontairement des messages de nature non verbale. Ainsi, j'y inclus les symboles communément appelés emoticons [19] qui transmettent, à l'aide de l'utilisation de caractères tels le deux-points, la virgule, le point, le tiret, l'état émotionnel de l'émetteur ou le contexte dans lequel doit être pris le message. Par exemple, un joueur voulant transmettre l'idée qu'il trouve un propos amusant pourra utiliser le symbole suivant pour le faire: :-) (représentant une figure riante tournée sur le coté). Plusieurs autres symboles véhiculant la tristesse [ :-( ], la surprise [ :-O ], la rage [>:-0 ] ou le sarcasme [ ;-) ] peuvent être insérés à l'intérieur des messages envoyés aux autres (une courte liste est placée en annexe). De plus, il est possible de transmettre des messages ressemblant aux emotes en utilisant les canaux verbaux (say, tell, shout, comm) et en y inscrivant le verbe de l'action entre astérisques (ex. *laugh* ou *wink*), pratique que j'appelle "verbacter". Ces "verbactions" permettent ainsi d'envoyer des messages non verbaux à une personne ne se trouvant pas dans la même salle que son personnage en utilisant les canaux tell ou comm. De plus, cette méthode permet d'envoyer des messages de nature verbale et non verbale en même temps, chose impossible avec le emotes et socials (ex. You say " you think? ;-) "). Enfin, il existe une convention sur l'Internet en général et donc sur les MUDs aussi qui veut que le fait d'écrire un message en lettre majuscule implique qu'il est crié (ex. J'EN AI ASSEZ!). Cette pratique est d'ailleurs très mal vue par la majorité des utilisateurs de l'Internet et une personne se le fera rappeler assez rapidement s'il n'en tient pas compte.

Tableau II: Le résumé des commandes de communication [20]
 

Commandes Exemples Diffusion (lieux)
Say ['] Jean says: How are you ? Publique (à tout joueur situé dans la même salle)
Tell ["] Jean tells you: How are you ? Privée (à un interlocuteur)
Comm [^] ^Jean: Hello Arda Publique (à tout joueur branché sur le comm)
Shout Jean shouts: Help ! Publique (à tout les joueurs dans le MUD)
Emote 

[:] ou [^:]

Jean flips head over heels ou 

^Jean flips head over heels

Publique (à tout joueur dans la même salle ou branché sur le comm)
Social Jean rolls on the floor with laughter Publique (à tout joueur situé dans la même salle)

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D.Le contexte social

Dans la majorité des regroupements sociaux, on retrouve des structures qui gèrent les relations entre individus et qui assurent une certaine cohésion. Les MUDs en tant que communauté virtuelle possèdent de telles structures. J'aborderai donc celles que l'on trouve dans T2T.

Tout d'abord, tel qu'esquissé plus haut, il existe une hiérarchisation des rapports entre joueurs. Celle-ci s'articule sur l'expérience de jeu des joueurs qui est principalement mesurée à l'aide des niveaux d'expérience des personnages. En effet, puisqu'un joueur débutant, communément appelé newbie, commence à explorer le monde virtuel avec un personnage de premier niveau, on associe le niveau de sa connaissance du fonctionnement du jeu sur le plan technique, interactionnel et social au niveau de son personnage. Toutefois, cette méthode d'évaluation peut être trompeuse puisqu'elle ne se base que sur les caractéristiques du personnage et non pas du joueur. En effet, il est fréquent de trouver des personnages de bas niveau possédés par des joueurs d'expérience qui ont délaissé leur personnage plus avancé afin de repartir à zéro. Il est encore plus fréquent de trouver des personnages de bas niveau contrôlés par des joueurs expérimentés n'ayant pas pris la peine, par choix ou par paresse, de faire accéder leur personnage aux niveaux supérieurs. Toutefois, il est possible de détecter ces types de joueurs en utilisant la commande legend qui permet de connaître l'âge en jours et en heures du personnage en question. Si ce personnage est très vieux mais de bas niveau, alors on peut en déduire que le joueur l'utilise depuis longtemps et qu'il possède l'expérience correspondante ou qu'il est un très mauvais joueur. Le fait d'être perçu comme newbie par un joueur expérimenté peut influencer l'interaction qui suivra. Certains joueurs seront indifférents, d'autres seront serviables et amicaux, d'autres encore seront tout simplement hostiles envers les newbies.

Éventuellement, tout joueur persévérant gagnera de l'expérience et fera atteindre des niveaux de plus en plus élevés à son personnage. Il entrera en contact avec les autres joueurs, créera des liens d'amitié et d'animosité et connaîtra en profondeur le fonctionnement général du MUD. À ce moment, certains désireront s'impliquer davantage dans la gestion du MUD en devenant des Ainurs (dieux) [21]. Le niveau d'Ainur est le plus élevé dans la hiérarchie sociale de T2T et des MUDs en général. Les dieux jouent un rôle primordial d'administrateurs et leur avis fait loi. À l'intérieur même du rang de dieu, il existe différentes classes, chacune portant un nom inspiré de la mythologie de Tolkien. On y trouve, au bas de l'échelle, les Maïars qui sont les programmeurs et programmeuses de salles et de sites. Ils ont une connaissance poussée de l'infrastructure informatique du MUD et utilisent leurs talents afin de faire croître le monde virtuel tout en respectant le thème. Un joueur peut faire la demande en vue de devenir Maiar lorsque son personnage a atteint le dix-neuvième niveau. Viennent ensuite les Makers qui sont des Maiars ayant atteint un niveau avancé de programmation. Ils s'occupent donc des sections du MUD nécessitant le plus de travail. Suivent les Maiar Lords qui sont responsables de sections géographiques virtuelles, appelées Domain, englobant plusieurs salles et sites. Les Maiar Lords doivent donc coordonner les efforts des Maiars travaillant sous leurs ordres dans leur domain. On trouve ensuite les Retired constitués de Maiar Overlords et de Powers illustres ayant pris leur retraite. Les Maiar Overlords doivent pour leur part s'occuper des relations entre les différents domains et ont la responsabilité de s'assurer de l'équilibre des créations entre elles et du fonctionnement du système légal. Les Powers forment l'avant dernière classe. Ils sont cinq et partagent, avec les Valars, les mêmes responsabilités touchant l'administration générale du MUD, soit vérifier la qualité de programmation des nouveaux sites, voter sur les changements à apporter au MUD, régler les problèmes de programmation et répondre aux questions des joueurs mortels. Toutefois, ce qui différencie les Powers des Valars est le fait qu'ils ne sont pas des membres fondateurs du MUD. Ainsi, il n'existe que quatre Valars placés en haut de la hiérarchie comme administrateurs suprêmes de The Two Towers, soit les quatre fondateurs: Rob, Todd, Steve et David.

Cette hiérarchie ainsi que les responsabilités liées aux différentes classes ont une fonction réelle à jouer pour le bon fonctionnement du MUD. En effet, bien que la majorité des joueurs y participe afin d'avoir du plaisir en groupe, certains trouveront leur plaisir en créant des difficultés aux autres. D'ailleurs, certains chercheurs s'intéressant aux interactions médiatisées par ordinateur ((Hiltz et Turoff 1993(1978): 83, Reid 1994: 24-30), à l'intérieur desquelles on retrouve entre autres les MUDs, ont noté que la distance géographique séparant les participants ainsi que l'anonymat relatif procuré par l'utilisation de pseudonymes offrent aux joueurs un sentiment de sécurité dont l'une des conséquences est de diminuer les inhibitions, telles celles que font que certaines personnes ne se permettront pas d'insulter quelqu'un avec véhémence ou de discuter de sexualité avec un inconnu. Ces inhibitions sont toujours présentes mais simplement atténuées. Cette situation peut avoir deux conséquences opposées sur le comportement des joueurs. Elle peut tout d'abord provoquer une augmentation du sentiment d'intimité. Ils pourront se sentir plus à l'aise et s'ouvrir de façon émotive aux autres pour partager des aspects de leur personne habituellement protégés. Certains joueurs parlent souvent de relations amicales intenses entretenues dans les MUDs. D'ailleurs, on peut observer son expression la plus poussée dans les mariages virtuels et le cybersexe [22]. Ce sentiment de sécurité peut aussi provoquer des comportements inverses en diminuant les inhibitions liées à la violence et à l'agression. On verra donc certains joueurs insulter (flaming), harceler (verbalement ou par Playerkilling ou Playerstealing (voir plus bas)) et même en violer d'autres [23]. Dans certains MUDs, ces comportements ne sont pas interdits et peuvent même être encouragés. Toutefois, dans la majorité des MUDs, les dieux ont dû développer des structures sociales ou tout au moins des procédures à suivre afin de limiter la prolifération de ces comportements et de punir les joueurs fautifs.

Dans le cas de T2T, ces dispositifs s'articulent suivant deux niveaux liés aux types de comportement: les crimes contextualisés dans le thème fantastique du MUD et les crimes de harcèlement. Les premiers sont tolérés car, selon les Valars, ils enrichissent le monde virtuel et son thème. Ainsi, le meurtre d'un autre personnage contrôlé par un joueur (Playerkilling) et le vol d'un article quelconque à un personnage (Playerstealing) sont des crimes acceptables dans T2T. Ils sont acceptés par les Valars parce que ceux-ci considèrent qu'ils apportent un élément de risque au jeu. Toutefois, bien qu'ils soient tolérés et intégrés au thème du MUD (les professions d'assassin et de voleur peuvent être choisies par les joueurs), des mesures ont été prises à l'intérieur des règles du jeu afin de cerner et contrôler leur impact. En effet, un système légal et judiciaire a été programmé afin de juger les personnages coupables de ce type de crime et donc de contrôler leur prolifération. Ils sont inspirés des grandes lignes des systèmes judiciaires occidentaux. La victime d'un de ces deux crimes doit d'abord rapporter le crime et le nom du suspect. Le suspect reçoit une citation à comparaître devant un juge, contrôlé par le programme informatique, afin d'offrir son plaidoyer. Si le suspect est reconnu coupable, il doit alors payer une amende à l'intérieur d'un laps de temps limité. S'il est reconnu coupable de tentative de meurtre ou de meurtre ou s'il ne paye pas l'amende à temps, il devient alors recherché par les joueurs du MUD qui possèdent des personnages ayant la profession de shérif. Ces derniers peuvent alors arrêter le coupable et le mener en prison. Une fois en prison, il est mené devant le juge qui donnera une amende plus élevée qui devra être payée immédiatement (en argent ou en points d'habiletés correspondants). Dans le cas des meurtriers en séries, ils seront susceptibles de recevoir la peine de mort s'ils ne payent pas leur amende complètement.

Par contre, les comportements qui sortent des limites du jeu de rôle et qui peuvent porter préjudice à certains joueurs sont totalement interdits. Leur identification est présentée dans un fichier d'aide intitulé harassment (harcèlement). On distingue trois types de harcèlement ayant chacun leur solution. D'abord, on y trouve le harcèlement sexuel qui consiste à envoyer des messages ou des emotes non désirés à un autre personnage (ex. Bob hugs you, You say 'stop please', Bob hugs you again). Puisqu'il est difficile de prouver un tel crime après coup, les Ainurs ont créé un mécanisme qui permet au joueur d'enregistrer l'interaction dans un fichier de type harass qui leur sera envoyé automatiquement. Ils pourront alors communiquer avec le joueur fautif afin de lui indiquer que ce type de comportement est inacceptable. S'il récidive, son personnage sera détruit à l'aide d'une commande appelée nuke (venant de nuclear). Le personnage en question sera à ce moment totalement effacé et une représentation graphique ou écrite sera envoyée à tous les joueurs branchés à ce moment [24]. En dernier recours, afin d'interdire l'accès au MUD au joueur fautif, les Valars pourront installer une barrière informatique interdisant l'accès à toute personne qui utilise le même serveur Internet que lui. Cette méthode est très radicale puisque tout en bloquant le joueur fautif, elle peut potentiellement interdire l'accès à des personnes innocentes qui utilisent le même serveur pour se brancher dans l'Internet. Le deuxième type de harcèlement identifié en est un qui a trait aux dieux. Tout personnage qui agacera un dieu en lui posant une même question de façon répétée, en tentant de le tuer, en lui envoyant des messages longs ou composés d'informations inutiles (spamming) ou en agissant de toute autre manière jugée inacceptable par celui-ci, recevra le même traitement que pour le harcèlement sexuel. Le troisième type de comportement inacceptable implique des abus de pouvoir de la part des Ainurs. Si un dieu utilise ses pouvoirs pour espionner des joueurs, pour leur lancer des sorts, pour les emprisonner ou pour les tromper, il sera puni par les Valars ou les Powers, bien qu'on n'indique pas de quelle manière ceci est fait. Enfin, il existe plusieurs autres mentions de comportements inacceptables pouvant être trouvés dans d'autres fichiers d'aides. Ceux-ci se résument en gros comme suit: exploiter une erreur de programmation (bug) sans en avertir les dieux, utiliser la commande shout inutilement, utiliser un langage inapproprié dans le canal public (insultes, jurons, obscénités), créer un personnage ayant un nom obscène ou ressemblant à celui d'un Ainur, jouer avec plus d'un personnage à la fois, etc...

Tel que mentionné ci-dessus, l'alignement des personnages est influencé par l'alignement des MOBs qu'ils tuent. De plus, le MUD possède son propre alignement. Ce dernier est influencé par la quantité de personnages secondaires tués par les joueurs. Plus les MOBs du côté du bien (good) sont tués, plus l'alignement du MUD deviendra "méchant" (evil) et, par conséquent, plus il y aura de MOBs du côté des "méchants". Le contraire est aussi vrai, mais le côté des "méchants" possède un avantage car à l'intérieur du programme, il existe plus de créatures qui en font partie que de créatures faisant partie des "bons". L'alignement du MUD est annoncé aux joueurs à l'aide de messages décrivant les forces du bien repoussant les forces du mal ou vice-versa comme on peut le voir dans les exemples 2,7 et 2,8.

Exemple 2,7: annonce de l'alignement du MUD (les forces du bien gagnantes).

Gandalf has taken command of the last defense of the City of Gondor, and wherever he goes men's hearts lift again! Tirelessly he walks the walls with Imrahil, ensuring the defense is ready.

(notes de terrain: 1998)

Exemple 2,8: annonce de l'alignement du MUD (les forces du mal gagnantes).

The forces of Mordor have surrounded the city, and Minas Tirith is besieged! Behind pits of fire, great engines are set up for the casting of missiles - fire and ruin fall down upon the first level of Minas Tirith!

(notes de terrain: 1998)

Les joueurs sont donc constamment impliqués dans cette guerre incessante contre le côté adverse. Certains s'en préoccupent peu, alors que d'autres prennent la lutte au sérieux. Ces derniers peuvent alors chercher à se regrouper afin d'avoir un effet plus palpable. Ces regroupements de joueurs sont appelés guilds (guildes). On en trouve des deux cotés de l'axe bon/méchant. Pour en faire partie, on doit en faire la demande en se rendant à l'emplacement virtuel où elle se situe. Le conseil de la guilde, composé de guildmasters (maîtres de guilde), délibérera sur le sujet. Ils pourront exiger une rencontre ou même un don d'argent du requérant. Une fois membre, la guilde offre certains avantages au personnage. D'abord, chaque guilde donne des habiletés ou des pouvoirs particuliers au personnage (ex. accès à un cheval). Elle peut aussi offrir des services tels une banque, la poste ou un forgeron (pour créer ou réparer des armes). Enfin, elle offre une certaine protection puisque le personnage fait à ce moment partie d'un groupe social privilégié. Ainsi, les membres d'une même guilde auront tendance à s'entraider. Par contre, le personnage gagnera souvent aussi les ennemis de la guilde, ce qui pourra rendre ses déplacements plus dangereux. En effet, il arrive souvent que la guerre éclate entre deux guildes et que leurs membres soient appelés à y participer. En créant des situations sociales où les joueurs pourront exprimer la nature de leur personnage, les guildes leur permettent d'atteindre un niveau supérieur de jeu de rôle.

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E.Le MUD en tant que jeu

La dernière partie de la section précédente fait ressortir l'aspect compétitif des interactions dans le MUD. Qui dit compétition, dit souvent jeu et qui dit jeu dit souvent compétition. Mais jusqu'ici le MUD a été abordé et décrit en tant que communauté virtuelle sans trop mettre l'accent sur sa qualité de jeu. Ce choix a été fait afin de démontrer qu'il est possible et même profitable d'aborder ce phénomène et ses manifestations sociales à l'aide d'une approche ethnographique des plus classiques. Toutefois, nous passerions à côté d'une dimension importante du MUD si nous nous contentions de cette seule approche. Par conséquent, j'esquisserai ici les bases possibles d'une voie d'étude différente du MUD en l'abordant par sa dimension ludique.

Roger Caillois définit le jeu, dans son ouvrage Les Jeux et Les Hommes, comme une activité possédant six caractéristiques de base. Tout d'abord, le jeu doit être une activité libre, entreprise de plein gré. Elle doit être séparée, soit "circonscrite dans des limites d'espace et de temps précises et fixées à l'avance" (Caillois 1958: 23). Elle doit aussi être incertaine, c'est-à-dire que son déroulement et son résultat ne doivent pas être prédéterminés. C'est aussi "une activité improductive qui ne crée ni biens, ni richesse ni éléments nouveaux d'aucune sorte" (Ibid). Le jeu doit aussi être réglé en étant "soumis à des conventions qui suspendent les lois ordinaires" (Ibid). Enfin, le jeu, selon Caillois, est une activité fictive "accompagnée d'une conscience spécifique de réalité seconde ou de franche irréalité par rapport à la vie courante" (Ibid).

Comme on peut le voir, l'activité de jouer à un MUD est caractérisée par les six éléments mentionnés plus haut [25]. Le MUD serait donc un jeu. Mais alors, quel type de jeu est-il?

Caillois identifie quatre catégories de jeu. La première qu'il nomme Agôn implique une compétition entre les participants basée sur leurs capacités personnelles (échecs, sports, ...). Puis vient la catégorie Alea qui englobe les jeux de hasard (dés, loteries, ...). Il identifie ensuite l'Ilinx qui implique la recherche d'un vertige (ex. balançoire, manège, ...). Enfin vient la catégorie Mimicry qui consiste "[...] non pas à déployer une activité ou à subir un destin dans un milieu imaginaire, mais à devenir soi-même un personnage illusoire et à se conduire en conséquence" (Caillois 1958: 39) (ex. jouer au cow-boy, le théâtre, ...).

À la lumière de cette catégorisation, il nous est possible de noter qu'une partie des activités entretenues par les joueurs de T2T entre dans trois des classes de jeu mentionnées plus haut, tandis qu'une autre partie n'entre dans aucune de ces catégories.

Tout d'abord, le MUD offre aux joueurs un jeu de type Agôn en les plaçant en compétition contre l'environnement et contre les autres joueurs. En effet, les joueurs doivent utiliser leurs capacités personnelles ainsi que celles de leur personnage afin de résoudre les épreuves leur étant offertes par le programme. De plus, tel que nous l'avons indiqué lorsque nous parlions des guildes et des crimes contextualisés (vol, meurtre), les joueurs se trouvent en compétition entre eux et doivent user de leur ingéniosité afin d'éviter les pièges tendus par leurs confrères.

Toutefois, tel qu'indiqué plus tôt dans le chapitre, la résolution des compétitions s'effectue grâce à une manipulation mathématique statistique impliquant les capacités respectives des personnages et de leurs antagonistes. Bien que cette opération ne soit pas contrôlée par les joueurs, ils y sont impliqués et par conséquent, un certain jeu d'Alea peut être apprécié par ceux-ci. Il faut toutefois noter que cet aspect du jeu n'est pas présent dans T2T sous une forme pure mais plutôt sous une forme dérivée et subordonnée puisqu'elle n'y est observée qu'en conjonction avec les activités compétitives.

Enfin, le MUD permet aux joueurs de participer à un jeu de type Mimicry en les laissant interagir entre eux dans un environnement fantastique suivant le rôle respectif de leurs personnages, que ce soit en compétition (mélange Agôn/Mimicry) ou non (pure Mimicry). Cet aspect du jeu est omniprésent dans le MUD.

Bien que ne faisant pas partie de la définition du jeu de Caillois, une grande partie du temps passé par les joueurs branchés au MUD est utilisée afin de discuter, de se raconter des histoires, de faire des connaissance et d'établir des relations interpersonnelles avec les autres joueurs sans se préoccuper du contexte du jeu de rôle. Les joueurs vont discuter de joueur à joueur (out of character) à travers leur personnage. Ce dernier perd alors sa relative autonomie et devient en quelque sorte l'extension virtuelle corporelle du joueur dans le MUD. C'est entre autre grâce à ce niveau d'interaction que des relations interpersonnelles et sociales réussissent à se bâtir dans un MUD. Cet aspect de l'interaction revêt une qualité primordiale. En effet, bien qu'à la base le MUD offre un milieu ludique permettant l'Agôn et la Mimicry, c'est sa capacité de soutenir des interactions sociales dépassant le simple jeu qui le place, d'après moi, au delà du jeu et qui le rend si attrayant pour les participants.

De plus, le MUD possède une caractéristique particulière. En effet, tel que nous l'apprend Caillois:

"En certaines circonstances, même les jeux que leur nature semblait destiner à être joués entre peu de joueurs, percent ce plafond et se manifestent sous des formes qui, tout en continuant sans aucun doute d'appartenir au domaine du jeu, n'en réclament pas moins une organisation développée, un appareil complexe, un personnel spécialisé et hiérarchisé. En un mot ils suscitent des structures permanentes et délicates, qui en font des institutions de caractère officieux, privé, marginal, parfois clandestin, mais dont le statut apparaît remarquablement assuré et durable" (Caillois 1958: 72) (ex. casino, opéra, fête foraine, sports professionnels).

Le MUD peut être vu comme une telle institution vouée au soutien du jeu de rôle. Toutefois, contrairement à la plupart des autres types d'institutions dérivées du jeu, l'ouverture du MUD n'est pas limitée dans le temps. Un théâtre ne sera ouvert au public que l'espace d'une pièce, une fête foraine fermera ses portes le soir, tandis qu'un MUD sera accessible de partout et en tout temps et sera occupé par des joueurs à toute heure du jour étant donné l'aspect international de son support, l'Internet. De plus, contrairement aux autres types d'institutions de jeu, le MUD pourra supporter à l'intérieur de ses structures de jeu des activités sociales ne faisant pas partie du jeu. Bien sûr, il est possible de rencontrer quelqu'un dans un casino afin d'avoir une interaction interpersonnelle. Cependant, cette rencontre s'effectuera en marge du contexte de jeu. Dans un MUD, l'interaction sociale s'effectue à l'intérieur du contexte ludique avec les structures servant au jeu (personnages, espaces virtuels, canaux de communication). Le MUD sert donc de support de jeu et de support social en même temps, ce qui lui donne une qualité dépassant la simple définition du jeu. Sherry Turkle exprime bien cette situation en nous parlant d'une jeune fille qui utilisait les jeux de rôles afin d'explorer et de régler les difficultés qu'elle vivait dans sa vie quotidienne:

"Les jeux de rôle se trouvent entre le réel et l'irréel; ils sont un jeu et quelque chose de plus. [...]. Bien qu'elle ait cette relation complexe avec la vraie vie, en fin de compte, l'expérience de Julee s'insère dans la catégorie du jeu parce qu'elle avait une durée spécifiée. [...]. Dans les MUDs, toutefois, l'action ne possède pas de fin fixée. Les limites dans les MUDs sont plus floues. Elles sont ce que l'anthropologue Clifford Geertz appelle blurred genres. Le fait d'y jouer régulièrement devient une partie des vraies vies de leurs joueurs." (Turkle 1995: 188) [traduction libre] [26].

Les personnages, le monde virtuel et surtout les relations sociales qui y sont établies perdurent hors des périodes de jeu des participants. Tous ces éléments existent en parallèle aux vies quotidiennes des joueurs, leur donnant ainsi une vie propre dans l'esprit de ceux-ci.

Comme on peut le voir, l'analyse des MUDs à partir de ses bases ludiques peut être productive. Il serait possible d'aller plus loin et d'étudier les comportements de dépendance observés chez certains joueurs de MUDs en les comparant à ceux trouvés chez des joueurs qui s'adonnent aux jeux de chance (ex. parieurs obsessifs). Toutefois, ce court aperçu des jeux nous suffit pour notre étude.

Dans ce chapitre nous avons illustré comment les MUDs, espaces virtuels explorés par des joueurs grâce à leur prolifique imagination, offrent un milieu propice à l'établissement d'interactions interpersonnelles intenses. Ces mêmes interactions nécessitant une certaine régulation engendrent la plupart du temps des structures sociales et communicationnelles complexes. Dans le chapitre qui suit, nous tenterons de caractériser ces structures de communication et de les analyser à l'aide des modèles théoriques utilisés couramment dans l'étude de la communication non verbale en face à face.

Chapitre 3: Les bases théoriques de la communication non verbale retour au début

I.Premiers pas retour au début

À partir d'une meilleure compréhension du fonctionnement et des caractéristiques des MUDs, il nous est maintenant possible d'accéder au coeur de notre sujet, la communication non verbale dans les MUDs. Toutefois, le cheminement que j'ai dû effectuer afin de faire un tel saut ne fut pas aussi direct. Lorsque que je débutai ma recherche préliminaire sur le domaine, je remarquai immédiatement à quel point le champ de la communication non verbale était vaste. En effet, nombre de chercheurs, psychiatres, psychologues, sociologues, anthropologues et linguistes, aux définitions et aux approches toutes plus singulières et originales les unes que les autres, s'y sont intéressés, ce qui rend la tâche ardue à quiconque tente de cerner l'objet d'étude.

Intuitivement, je savais qu'il serait possible de comprendre les comportements communicationnels observés dans les MUDs à l'aide des théories de la communication non verbale déjà élaborées. Toutefois, avant d'être en mesure d'utiliser ces outils théoriques, il m'était nécessaire de cerner de façon globale ce type de communication. Je débutai donc mes recherches avec une vague idée de ce qu'était la communication non verbale, soit la transmission d'information, lors d'interactions humaines, par des canaux corporels autres que celui du langage. Je me tournai d'abord vers un article de Michael Argyle, un socio-psychologue, afin d'étoffer ma compréhension du sujet. Cet article, intitulé Non-Verbal Communication in Human Social Interaction (Argyle, 1972) offre deux points d'intérêt. Argyle offre d'abord une liste de ce qu'il considère être les principaux signaux non verbaux utilisés par l'être humain, soit le contact physique, la proximité, l'orientation, la présentation physique, la posture, les mouvements de tête, l'expression faciale, les gestes et le regard. De plus, il identifie trois fonctions de la communication non verbale [27]:

1.la gestion de la situation immédiate (les attitudes interpersonnelles, les états émotionnels, la présentation de soi),

2.le soutien de la communication verbale (les aspects vocaux et gestuels affectant le sens des phrases, l'allocation du plancher de parole, la rétroaction, le signalement de l'attention)

3.le remplacement de la communication verbale (le langage signé, les symptômes neurotiques) (Ibid.: 251-257).

Bien que succincte, cette vision de la communication non verbale offre une idée générale du domaine. Toutefois, il était nécessaire de l'approfondir.

Je poursuivis alors mes recherches dans cette direction en lisant un recueil d'articles de la revue Semiotica édité par Adam Kendon portant sur la communication non verbale. J'y trouvai un article ayant d'abord paru en 1969, un classique dans le domaine: The Repertoire of Nonverbal Behavior: Categories, Origins, Usage, and Coding, de Paul Ekman et Wallace V. Friesen (1981(1969)). Les auteurs de cet article identifient trois éléments caractérisant les comportements non verbaux et offrent une catégorisation de ceux-ci en cinq classes. Le premier élément proposé par Ekman et Friesen, le contexte (usage), fait référence aux circonstances dans lesquelles prend place un comportement non verbal, ce qui inclut d'après eux:

1.les conditions extérieures (environnementales),

2.la relation du comportement non verbal avec les comportements verbaux,

3.la prise de conscience de l'émission du comportement par la personne émettrice,

4.l'intention de communiquer de la personne émettrice,

5.la rétroaction de la personne observant le comportement et le type d'information transmis par le comportement [28].

Le second élément identifié par les auteurs est celui de l'origine. D'après eux, un comportement non verbal peut être biologiquement hérité et donc inscrit dans le système nerveux (ex. un réflexe); il peut venir d'un apprentissage plutôt uniforme chez l'être humain (ex. l'utilisation des mains pour manger); ou il peut venir d'un apprentissage lié à la culture, la classe, la famille ou l'individu. La dernière caractéristique des comportements non verbaux, le codage (coding), se réfère à la relation entre l'acte et son sens. D'après les auteurs, un comportement peut être codé de façon extrinsèque arbitraire, extrinsèque iconique ou intrinsèque. Un comportement codé de façon extrinsèque arbitraire ne ressemble aucunement visuellement à ce qu'il signifie (ex. un mot). Un acte ayant un codage extrinsèque iconique véhicule un indice de son sens dans son apparence (ex. le signe de main représentant un pistolet) tandis qu'un comportement intrinsèquement encodé est son propre signifié (ex. frapper quelqu'un pour montrer de l'agressivité) (Ekman et Friesen 1981(1969): 61-70). Les auteurs proposent, enfin, cinq catégories de comportements non verbaux caractérisées par les trois éléments mentionnés ci-dessus. Les emblèmes (emblems) forment la première catégorie et consistent en des comportements non verbaux possédant une traduction verbale directe. La deuxième catégorie, celle des illustrateurs (illustrators), est formée de mouvements qui servent à répéter, remplacer, contredire ou ajouter aux énoncés verbaux auxquels ils sont directement liés. Viennent ensuite les expressions émotionnelles (affect displays) qui sont principalement émises par le visage, et les régulateurs (regulators) qui s'assurent de la coordination des interventions entre au moins deux participants d'une interaction. Les adaptateurs (adaptors) forment la dernière catégorie d'Ekman et Friesen et consistent en des comportements ayant d'abord été appris à des fins "adaptatives" comme se laver, conduire une voiture, se protéger d'un coup et qui sont utilisés lors d'une interaction sans que ces besoins "adaptatifs" ne soient présents. D'après les auteurs, ces gestes sont en fait de vieilles habitudes déclenchées par un stimulus associé, par les participants, aux besoins ayant fait évoluer ces comportements dans le passé (ex. se placer les cheveux avant d'entrer dans le bureau de son directeur de recherche) (Ibid.: 70-100).

Intrigué et stimulé, surtout par les catégories élaborées par Ekman et Friesen, je poursuivis ma recherche en lisant l'introduction du recueil d'articles, dans lequel se trouvait le leur, rédigée par Adam Kendon, un des chercheurs les plus productifs dans le domaine. Cet article s'avèra d'une grande importance dans la compréhension de la communication non verbale car il précise certains flous engendrés par les visions d'auteurs tels Ekman et Friesen. J'y notai d'abord la discussion que fait Kendon de certains concepts avancés par Ekman et Friesen. En effet, il critique en premier lieu la validité de la distinction entre comportement informatif et communicatif faite par ces deux auteurs sur la base de l'intention de l'émetteur [29]. Il indique que le seul fait d'observer un comportement constitue la réception d'information et que par conséquent, une communication a été établie quelle qu'ait été l'intention de l'émetteur (Kendon 1981: 3). De plus, il critique la position qu'Ekman et Friesen semblent prendre face à leurs catégories. D'après Kendon, ceux-ci sous-entendent que chacune de leurs catégories fonctionnelles est absolue et que chaque comportement non verbal y est associé de façon définitive, quel que soit le contexte dans lequel il prend place. Kendon considère que cette approche n'est pas réaliste et donc que tout geste est indissociable de son contexte (Ibid.: 12). Je remarquai aussi qu'Ekman et Friesen appliquaient leurs catégories seulement aux comportements faciaux et corporels. Bien que Kendon n'en ait pas fait mention, je considère que cette limitation des catégories à deux canaux particuliers ne répond pas tout à fait aux besoins théoriques liés à mon sujet de recherche.

Kendon nous apprend enfin que le terme "communication non verbale" est généralement utilisé, par les auteurs s'intéressant au sujet, pour désigner:

"[...]toutes les façons par lesquelles une communication s'effectue entre deux personnes se trouvant en présence l'une de l'autre à l'aide de tout moyen autre que les mots. Elle [la définition] se réfère au fonctionnement communicationel des activités corporelles, des gestes, des expressions faciales et de l'orientation, de la posture et de l'espacement, du touché et de l'odorat, et des aspects de l'expression qui ne sont pas considérés comme faisant partie du contenu référentiel de ce qui est dit." [traduction libre] (Kendon 1981: 3) [30]

Cette définition implique trois suppositions: a) ce terme, d'après Kendon, s'applique seulement aux messages véhiculés de façon implicite par les actions d'une personne (la langue signée des sourds et muets en est donc exclue); b) il se réfère au type de communication composée de comportements qui ne peuvent véhiculer leur message que par leur façon d'être actualisés (ex. le ton de voix utilisé pour transmettre la colère); c) enfin, cette définition sous-entend une communication entre deux personnes ou plus obligatoirement coprésentes (face-à-face) (Ibid.: 3-4).

La forme des différentes approches théoriques portant sur la communication non verbale commençait à se définir dans mon esprit. Toutefois, les justes commentaires émis par Kendon m'obligeaient à réfléchir sur les caractérisitques du modèle qui me servirait dans mon analyse du phénomène de la communication non verbale dans les MUDs. Tout d'abord, il me fallait une approche théorique qui abordât de façon globale le phénomène de la communication non verbale et qui ne se limitât donc pas à l'aspect gestuel de celle-ci, comme le voulaient Ekman et Friesen. J'avais aussi besoin d'une théorie qui tiendrait compte du contexte entourant la production des comportements non verbaux. Il me fallait, comme le nécessitait la nature même de mon objet d'étude, une théorie basée sur une définition de la communication non verbale englobant plus que les seules interactions face-à-face.

Je découvris alors l'ouvrage d'un auteur, Fernando Poyatos, qui semblait aborder le sujet avec la perspective que je cherchais. Ma curiosité fut d'abord piquée par un article du recueil mentionné ci-dessus intitulé Forms and Functions of Nonverbal Communication in the Novel: A New Perspective of the Author-Character-Reader Relationship, dans lequel Poyatos analysait l'utilisation de la communication non verbale faite par les écrivains romanciers. Les liens pouvant être établis entre cet article et la situation de la communication écrite observée sur les MUDs me furent tout de suite apparents. Je voulus donc connaître plus en profondeur les racines théoriques sur lesquelles reposait son étude, que je trouvai dans un ouvrage intitulé New Perspectives in Nonverbal Communication. Dans ce livre, Poyatos s'inspire des travaux de plusieurs chercheurs tels Seboek, Ekman, Friesen, Kendon, pour produire une étude générale des différents éléments impliqués dans la communication non verbale. Tout d'abord, la définition de la communication non verbale qu'il propose englobe plus que les comportements de nature corporelle mais aussi les émissions de signes à l'aide d'objets ou par l'environnement. De plus, il offre une classification des types d'interactions pouvant être observés. Il identifie aussi clairement les différents canaux somatiques ainsi que les systèmes communicationnels qui leur sont associés (langage, paralangage, kinésique, proxémique, chronémique, dermique, chimique, thermique). Il développe les catégories fonctionnelles proposées par Ekman et Friesen. Il s'intéresse aussi aux formes que peut prendre la conversation. Il s'intéresse enfin à la représentation de la communication non verbale dans la littérature et dans le théâtre. Armé de cette perspective globale et des différents outils théoriques découverts chez ces auteurs, je me sentais prêt à aborder le phénomène de la communication non verbale dans les MUDs.

II.La communication non verbale dans les MUDs retour au début

A.L'interaction

Avant de pouvoir entreprendre l'analyse des formes de communication non verbale dans les MUDs, il me fallait d'abord cerner le type d'interaction observé dans ces derniers. Pour ce faire je trouvai utile la figure reproduite ci-dessous (fig. 3.1) qui a été établie par Poyatos afin de distinguer l'interaction de la non interaction. Il définit l'interaction comme: "[...]la situation résultant de l'échange mutuel, conscient ou inconscient, intentionnel ou non intentionnel, de messages et de la provocation d'activités mentales ou physiques entre deux individus ou plus" [31] (Poyatos 1983: 83). L'interaction peut être différée dans le temps (communication épistolaire, messages physiques ou chimiques) ou directe (face à face). Une interaction directe peut prendre place de façon réduite lorsque pour des raisons environnementales ou physiques les participants ne peuvent utiliser tous les canaux communicationnels normaux [32] ou de façon totale lorsqu'ils peuvent les utiliser tous librement. C'est à l'intérieur de ce type d'interaction qu'on observe les trois modes de communication humaine corporelle: vocal-verbal (le langage), vocal-nonverbal (le paralangage) et nonvocal-nonverbal (la kinésique [33], la proxémique et les autres systèmes corporels).

Figure 3,1: L'interaction et la non interaction [34]

.

La non interaction est pour sa part une transmission d'information produite par une activité physique ou intellectuelle qui n'implique pas un échange bidirectionnel entre plusieurs individus. Par exemple, les mouvements effectués par un individu pendant qu'il rêve ne s'insèrent pas dans un échange avec les observateurs potentiels. La non interaction peut être personnelle ou impersonnelle (adressée à quelqu'un ou non) et prendre une forme audiovisuelle (ex. films, vidéos) ou acoustique (ex. cassettes, disques) qui implique les trois modes de communication mentionnés plus haut (vocal-verbal, etc.) ou une forme graphique (littérature, peinture) qui ne fait alors qu'"évoquer les activités somatiques interactionnelles" (Ibid.: 6). Elle peut aussi s'effectuer, selon Poyatos, par la communication au moyen d'obets qui transmet de l'information par les objets nous entourant (meubles, vêtements, etc.). De plus, on la retrouve dans la communication unilatérale produite par l'environnement de nature humaine (architecture). Enfin, Poyatos termine son schéma en incluant les interactions entre humains et animaux puisqu'elles jouent un rôle relativement important dans la communication quotidienne.

Il est tentant de comparer l'interaction observée dans les MUDs à la littérature. En effet, à première vue elle possède plusieurs de ses caractéristiques. L'interaction dans les MUDs implique l'utilisation du langage écrit pour décrire l'environnement et les actions y prenant place. Elle implique aussi des dialogues entre personnages où certains gestes sont décrits tout comme dans les romans. Toutefois, deux différences majeures nous empêchent de les confondre. Tout d'abord, la littérature est une forme de communication non interactionnelle qui n'implique pas un échange bidirectionnel entre l'émetteur et le récepteur, tandis que l'échange bidirectionnel est présent entre les joueurs et le programme informatique et entre eux. Ces échanges sont donc des interactions à part entière. De plus, la forme que prend l'écriture des messages entre joueurs diffère grandement, de par son "oralité", de celle qui peut être observée dans la littérature. En effet, les conversations entre joueurs d'un MUD sont marquées par des fautes de grammaire (erreurs de syntaxe, accord des verbes, vocabulaire) tout comme l'est une discussion en face-à-face entre amis, tandis que la langue observée dans un roman aura été corrigée afin de suivre le plus possible les règles de grammaire. Tout comme le dit Reid:

"[...] MUD interaction is not designed for an audience uninvolved in its production. This interaction is not enacted to be read as an artefact, but to be experienced subjectively. It is not a text but a context." (Reid 1994: 21).

Par exemple, on peut voir dans la phrase suivante tirée d'un enregistrement effectué dans T2T, qu'Actor ne commence pas sa phrase avec une majuscule, écrit le "I" en minuscule, utilise une contraction de "don't know" (dunno) et ne termine pas sa phrase par un point (le mot "wring" correspond sans doute à une faute de frappe pour "wrong"):

"Actor: well, yes to the wring meaning :) and i dunno to the right :)"

Ayant exclu la littérature, d'autres pourront être tentés de comparer les interactions des MUDs à une conversation directe de nature réduite, telle la conversation téléphonique. En effet, on pourrait comparer les discussions qu'entretiennent les joueurs des MUDs entre eux à une conversation téléphonique entre deux personnes éloignées qui utiliseraient l'écriture au lieu de leur voix afin de transmettre leurs messages. Toutefois, de par la définition même d'une interaction directe réduite, il est impossible de faire cette comparaison. Ainsi, bien que ce type d'interaction soit caractérisé par l'exclusion de certains canaux corporels normaux de communication humaine (visuel, proxémique, etc.), il implique tout de même l'utilisation d'un ou plusieurs des canaux restants (ex. la voix pour le téléphone). Dans le cas d'une communication sur le MUD, aucun des systèmes de communication habituellement utilisés lors d'une interaction face-à-face ne sont présents. Il est donc impossible de l'insérer à l'intérieur de cette forme.

Après avoir éliminé les autres possibilités, il ne reste plus que l'interaction différée à l'intérieur de laquelle on retrouve la communication épistolaire. En effet, le type d'interaction trouvé sur les MUDs ressemble à une correspondance écrite entre individus puisque toutes deux utilisent la langue écrite afin de véhiculer les messages. Toutefois, le temps séparant l'envoi et la réception d'un message diffère grandement entre les deux formes. Pour ce qui est de la communication épistolaire, il peut être de quelques jours à plusieurs semaines, tandis que dans le cas des MUDs, les messages ne prennent habituellement que quelques secondes à se rendre [35]. De plus, contrairement aux lettres qui peuvent être conservées à des fins d'archivage, les communications observées dans les MUDs sont de nature éphémère. Les messages envoyés sont lisibles tant qu'ils ne sont pas poussés hors de l'écran par de nouveaux messages [36]. Une analogie utile serait celle d'un parchemin qui se déroulerait dans un même sens et qui ne pourrait être vu qu'à travers une étroite fenêtre placée à l'horizontale.

Il est donc possible, d'après moi, d'insérer la communication trouvée sur les MUDs dans la catégorie des interactions différées, entre la communication épistolaire et l'interaction directe réduite. Elle est caractérisée par l'utilisation de l'écriture, par "l'oralité" de cette dernière et par un échange presque synchronique de messages entre les joueurs et leur environnement virtuel. Il est tout de même nécessaire de noter que, comme nous le verrons plus loin dans le chapitre, ce type de communication utilise certaines méthodes de transmission écrite des idées et des comportements s'apparentant grandement à celles utilisées par les écrivains. J'y reviendrai.

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B.La communication non verbale

Une fois le type d'interaction ciblé, il est nécessaire de voir comment s'actualise la communication non verbale dans les MUDs. Lors d'une interaction directe pleine entre êtres humains, des canaux corporels de transmission des messages sont utilisés. En effet, le corps humain peut émettre des messages de façon kinétique, dermique, thermique et chimique. La perception de ces signaux est effectuée grâce aux sens visuel, auditif, olfactif, dermique, gustatif et kinesthétique (perception interne effectuée par les muscles, les articulations, les tendons, etc.) idéalement possédés par tous les participants. De plus, cette perception peut s'effectuer de façon directe (lorsqu'un stimulus active directement les récepteurs sensoriels) ou synesthésique (lorsqu'une sensation stimule directement un sens et que, par effet psychologique, une sensation secondaire soit produite sur un autre sens (ex. voir une pomme et en ressentir le goût)) (Ibid.: 54-69). Ces modes d'émission et de perception forment des couples habituellement appelés canaux de communication. Les concepts de systèmes communicationnels prennent souche à l'intérieur de ces canaux. Les systèmes sont les représentations que se font les chercheurs des formes que prennent l'échange de signaux par certains canaux particuliers. Les systèmes primordiaux identifiés par Poyatos sont ceux du langage verbal, du paralangage, de la kinésique, de la proxémique et de la chronémique que je définirai ici [37].

Le système du langage verbal est assez bien connu pour se passer d'explication. Il suffit de dire qu'il utilise les mots afin de transmettre les messages et que cette transmission s'effectue par le canal kinétique-auditif.

Le paralangage est constitué selon la définition de Poyatos "des qualités, des modificateurs et des sons non verbaux de la voix" produits par les cavités et voies respiratoires, "ainsi que les silences les espaçant, que nous utilisons, de façon consciente ou non, pour supporter ou contredire les messages linguistiques, kinésiques ou proxémiques, simultanément ou en alternance avec eux." [38] (Poyatos 1983: 185). Selon lui, on peut identifier quatre catégories différentes de paralangage. La première est celle des qualités primaires qui forment l'ensemble des caractéristiques de base de l'élocution (le timbre de voix, le niveau du ton, le volume, la durée syllabique, le tempo, le rythme, etc.) La catégorie suivante, appelée modificateurs, est composée des différents effets vocaux produits par la direction de la respiration, le contrôle des cordes vocales, les tensions et positions de la langue, des lèvres, du pharynx, etc. Ce groupe se scinde en deux sous-catégories, les qualificateurs influencés par le contrôle et les tensions des différents organes de la voix (ex. voix rugueuse, nasale, douce, etc.) et les différenciateurs étant "les résultats d'états psychologiques ou physiologiques, modifiés par les qualités primaires et les qualificateurs, et grandement liés aux comportements kinésiques" (ex. rire, pleurer, tousser, éternuer, etc.) (Ibid.: 189). Enfin on trouve les alternants, soit "des sons égressifs ou ingressifs, articulés ou non," produits par les cavités et voies respiratoires ainsi que les silences communicatifs "qui sont modifiés par les qualités primaires, les qualificateurs et les activités kinésiques et qui apparaissent isolés ou en alternance avec le langage verbal et les structures kinésiques" [39] (ex. soupir, grognement, raclement de la gorge, etc.)(Ibid.: 190).

La kinésique est un système composé "[...] des mouvements corporels conscients ou inconscients d'origine psychomusculaire et des positions statiques en résultant ou les interférant, qu'ils soient appris ou somatogéniques, perçus de façon visuelle, visuelle-acoustique, tactile ou kinesthésique, qui, étant combinés ou isolés des systèmes linguistique, paralinguistique, somatique ou artéfactuel, possèdent une valeur communicationnelle voulue ou non." [40] (Ibid.: 191). Toutefois, Poyatos précise cette définition générale en introduisant trois catégories de comportements kinésiques: les gestes, les manières et les postures. Les gestes sont des "mouvements corporels conscients ou non effectués principalement avec la tête, la figure ou les membres, qui sont appris ou somatogéniques, qui servent d'outils communicationnels primaires, qui peuvent être dépendants ou non du langage verbal et produits en simultané ou en alternance avec lui et qui sont modifiés par le contexte total conditionnant" [41] (ex. un signe de la main, un sourire, un clin d'oeil) (Ibid.: 196). Les manières ressemblent beaucoup aux gestes; toutefois, elles sont habituellement apprises et "codifiées socialement" suivant la situation (ex. façon de s'asseoir, manière de serrer la main de quelqu'un). Les postures sont pour leur part des positions du corps plus figées que les gestes et ne sont pas habituellement utilisées comme outils de communication (ex. se tenir debout, couché).

Associés au langage, les systèmes de la kinésique et du paralangage forment ce que Poyatos appelle la structure triple de base de la communication humaine. Il est conscient que le langage occupe une place primordiale dans la communication par le simple fait qu'il soit capable de parler de lui-même et des autres systèmes. Toutefois, ce qui donne vie aux mots est en fait "une série d'éléments kinésiques et paralinguistiques qui, étant tous interreliés, supportent, contredisent ou mettent de l'emphase sur les mots" (Ibid.: 179). De plus, ces trois systèmes sont tous produits par des émissions à base kinétique et "partagent les mêmes structures sémantiques et lexicales, ce qui leur permet d'opérer simultanément, en alternance ou même de se remplacer lors d'une interaction" (Ibid.: 179-180) constatation qui ne peut, sinon très rarement, être faite pour les autres systèmes (ex. thermique, dermique,...). Par exemple on peut transmettre l'idée de la puanteur par une expression comme: "Ça pue!", par un pincement du nez par la main, par un son comme: "Beurk!" ou encore par une combinaison: "Beurk! Ça ..." + signe de main.

Le silence et l'immobilité qui représentent en fait les deux non-activités d'une interaction, peuvent tout de même transmettre des messages. Tous deux sont évidemment costructurés avec l'émission de son et de mouvement et peuvent être, d'après Poyatos, décodés de trois manières: a) comme signes (ex. "lorsque je m'immobiliserai, ça voudra dire que ..."), b) comme signes à décodage zéro (ex. le vide d'action transmet un message) ou c) comme transmetteurs (ex. ils soutiennent et amplifient la dernière action posée).

Le système de la proxémique est basé sur l'espace et les distances entre les participants à une interaction. Poyatos la définit comme "[...] la conception, l'utilisation et la structuration de l'espace par les gens, influençant tout, de l'environnement naturel ou construit les entourant aux distances prises de façon consciente ou non lors d'interactions personnelles" [42] (Ibid.: 204). Poyatos s'inspire du travail effectué par l'anthropologue Edward T. Hall [43] sur le sujet, qui identifie quatre distances de base lors d'interrelations, soit publique (ex. la distance entre un orateur et le public), sociale (ex. la distance entre les individus dans une salle d'attente), personnelle (ex. la distance entre deux amis), intime (ex. la distance entre deux amoureux), auxquelles Poyatos ajoute deux autres, la distance éloignée (ex. personnes communiquant entre deux montagnes par signaux de fumée) et la distance artéfactuelle (ex. entre une personne et un objet).

Le dernier système, la chronémique, représente pour l'auteur "toutes les conceptualisations et utilisations du temps comme élément biopsychologique et culturel qui caractérisent les interactions sociales et les éléments des échanges communicationnels, des syllabes linguistiques et gestes aux regards et silences emplis de sens" [44] (Ibid.: 210). Selon lui, le temps doit être perçu comme "un élément mesurable des comportements, un résultat des comportements, et comme un système communicationnel en soi" (Ibid.: 211). Il identifie trois types de temps: a) le temps conceptuel (ex. mois, année, hier), b) le temps social (ex. le temps des interactions entre deux personnes), c) le temps interactif (ex. le rythme du discours, la durée des syllabes).

Lors d'une interaction directe normale entre des individus, l'ensemble de leurs systèmes somatiques est mis à contribution. Des signaux sont émis et perçus grâce aux outils corporels de chacun. Leur transmission s'effectue sans intermédiaire, du geste au sens. Toutefois, la situation de la communication non verbale dans les MUDs est différente. En effet, les signaux doivent passer par une forme intermédiaire écrite avant de pouvoir être perçus et décodés.

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C.La communication dans les MUDs

Afin de comprendre le processus impliqué dans la transmission des signaux verbaux et non verbaux entre les joueurs de T2T, je me suis inspiré du modèle que Poyatos a élaboré afin d'expliquer ce même processus dans la littérature, plus particulièrement le roman. Bien qu'il ait été nécessaire d'adapter ce schéma à la réalité des MUDs, la base théorique le sous-tendant s'applique de façon assez efficace. Abordons donc cette analyse du processus de transmission des comportements non verbaux entre joueurs de MUDs (voir la figure 3,2).

La première étape de ce processus de transmission consiste, pour le joueur et l'écrivain, à percevoir et sélectionner les signes d'origine multisensorielle liés à son expérience physique et intellectuelle du monde, pertinents au message qu'ils désirent envoyer à travers leur personnage. Cette perception s'effectue de deux façons: soit de façon directe lorsque le joueur choisit des signes liés à des expériences qu'il ressent à ce même moment, telles ses réactions aux messages envoyés par d'autres joueurs ou à l'environnement dans lequel il se trouve, soit de façon différée lorsque le joueur puise ses signes à l'intérieur de son répertoire d'expériences passées (ex. conversations, interactions) ou à l'intérieur de sources externes tels des livres ou des films. Le contexte entourant cette perception diffère entre écrivain et joueur de MUD. L'écrivain perçoit et choisit les signes seul, en non interaction et avec tout le temps qu'il désire, tandis que le joueur se trouve en interaction et par conséquent reçoit des stimuli et doit y réagir à l'intérieur d'un laps de temps relativement court.

Figure 3,2

Une fois la perception et le décodage des signes effectués, le joueur doit, tout comme l'auteur, effectuer une sélection de ceux qui, selon lui, véhiculent mieux le message qu'il veut transmettre. Toutefois, une différence persiste entre le type de sélection de l'écrivain et celui du joueur. En effet, l'écrivain choisit les signes appropriés aux divers personnages et au contexte élaboré dans le roman afin de leur donner vie et réalisme. Pour certains romanciers, la responsabilité de cette sélection leur semble même retirée puisqu'à leurs yeux, leurs personnages leur imposent leur choix. Le joueur, toutefois, communique à un niveau plus personnel. Ainsi, bien qu'il s'assurera souvent de faire réagir son personnage de façon conséquente avec la personnalité propre de ce dernier (in character), le joueur communique principalement ses propres idées et comportements aux autres joueurs à travers l'unique personnage qu'il contrôle (out of character) [45]. Le personnage perd alors sa relative indépendance du joueur et devient l'extension corporelle de celui-ci dans le monde virtuel. Le choix des signes ne sera alors pas effectué en fonction de la personnalité du personnage mais plutôt en fonction de leur capacité à transmettre les idées du joueur. C'est d'ailleurs un aspect du jeu dans les MUDs que des chercheuses telles Sherry Turkle (1995) et Lynn Cherny (1995a, 1995b) ont abordé dans leurs études portant sur le concept de corporalité et d'identité chez les joueurs de MUDs. Cette étape de sélection des signes est d'ailleurs grandement influencée par la grille personnelle et culturelle du joueur. En effet, la pertinence des signes varie d'une personne à l'autre et d'une culture à l'autre. Ainsi, un joueur pourrait choisir un signe tel un poing brandi afin de véhiculer l'idée de la colère, tandis qu'un autre pourrait plutôt choisir un signe lui semblant plus pertinent tel le froncement des sourcils. Cette situation, dans le cas de la littérature, fait dire à Poyatos que le personnage créé par l'auteur et celui reconstruit par le lecteur sont différents puisque le temps et l'espace qui les séparent impliquent des expériences d'apprentissage personnelles et culturelles différentes et une grille d'évaluation en conséquence. Dans le cas des MUDs, cette situation est quelque peu atténuée puisque les joueurs partagent tous un même contexte de jeu à l'intérieur du monde virtuel. Toutefois, puisque des joueurs de différentes cultures se rencontrent dans ces MUDs, la signification d'un comportement ou d'un mot pourra être différente pour deux joueurs. Mon expérience dans ces milieux me fait penser qu'avec le temps, les joueurs de plusieurs milieux culturels réussissent à se créer un répertoire de signes dont le sens est partagé par l'ensemble des joueurs du MUD. Ce répertoire de signes associés à ceux des normes et us s'insérerait dans ce qu'on peut, d'après moi, appeler la culture d'un MUD.

Ainsi après avoir sélectionné des signes qu'ils désirent transmettre, formés de comportements linguistiques, paralinguistiques, kinésiques, proxémiques, chimiques et thermiques et d'états psychologiques et intellectuels, le joueur et l'écrivain doivent passer à la seconde étape qui consiste à les encoder. Cet encodage implique à priori une réduction de canaux. En effet, toutes les expériences multisensorielles et intellectuelles qu'ils désirent véhiculer à travers les signes sélectionnés (comportements verbaux et non verbaux, états psychologiques et intellectuels) doivent être réduites de leur forme multisensorielle à une forme visuelle écrite.

Dans le cas de la littérature, les comportements encodés du personnage sont perçus, tel que l'indique Poyatos, sous deux formes par le lecteur. D'abord sous une forme explicite composée de signes visibles tels les mots et les signes de ponctuation. Le lecteur peut alors trouver la description effectuée par l'écrivain des comportements kinésiques, paralinguistiques, proxémiques, thermiques, dermiques et chimiques des personnages (ex. Jean prit la chaise et s'assit lourdement). On y trouve aussi la transcription de certains comportements paralinguistiques (ex. le rire donnerait: HaHaHa). Le lecteur perçoit aussi les comportements non verbaux des personnages sous une forme implicite. En lisant entre les lignes, il pourra compléter, à l'aide de sa sensibilité et de son intuition, les comportements explicitement décrits et transcrits par des comportements y étant habituellement associés ou par le contexte intellectuel et sensoriel les entourant. Ainsi, le lecteur pourra percevoir et reconstruire à l'aide de son imagination des éléments implicites des comportements tels " [...] les caractéristiques paralinguistiques liées aux expressions linguistiques particulières, les gestes, postures et manières habituellement associés au langage et au paralangage dans la vie de tous les jours, l'espace séparant deux individus impliqués dans une interaction suivant le contexte ou les types de silences requis par la situation [...]" (Poyatos 1983: 292).

Dans le cas des MUDs, la communication non verbale prend des formes particulières bien qu'elles soient apparentées à celles observées dans la littérature. Mais avant de pouvoir parler de formes, il est nécessaire d'insérer un filtre qui n'existe pas dans le cas de la littérature entre les étapes de l'encodage et de la mise en forme. En effet, les caractéristiques du personnage (langue parlée, possession d'une pierre magique message stone) peuvent influencer les formes que prendront la communication. Ainsi, si un joueur envoie ses messages à travers son personnage en utilisant une langue (sindarin, darven, etc.) que le personnage de l'autre joueur ne comprend pas, alors, tel qu'expliqué dans le chapitre deux, ce dernier ne pourra décoder correctement le message envoyé. Cependant, l'utilisation de ces caractéristiques spéciales reste restreinte puisque la plupart du temps les joueurs auront intérêt à se faire comprendre l'un de l'autre.

Ceci dit, à l'aide de mes observations et en m'inspirant du schéma de Poyatos (1983: 291), j'ai pu établir une classification des formes que prend la communication non verbale dans les MUDs. Ainsi, les joueurs perçoivent les comportements non verbaux sous des formes explicites (visibles dans le texte) et implicites (invisibles mais imaginées par le joueur récepteur). On peut séparer les formes explicites en deux groupes (voir la figure 3,3 plus bas).

Le premier groupe que j'ai qualifié de lexical comprend tous les comportements véhiculés à l'aide de lettres et de mots. On y trouve les emotes, les socials, et les verbactions qui permettent au joueur de décrire, de façon plus ou moins détaillée, des comportements qui auraient été véhiculés dans une interaction directe par les systèmes somatiques du joueur (paralinguistiques, kinésiques, dermiques, chimiques, proxémiques, etc.). Les transcriptions des comportements paralinguistiques en font aussi partie [46] (ex. HaHaHa, Hmmm). L'utilisation par le joueur de ces formes explicites lexicales se fait habituellement de façon consciente puisqu'il doit réfléchir aux mots décrivant le comportement qu'il veut transmettre ou aux mots clés déclenchant le social approprié [47]. Leur perception par les autres joueurs implique aussi un certain niveau de conscience puisqu'il est nécessaire qu'ils lisent les mots afin d'en tirer leur sens et le message véhiculé.

Figure 3,3: Les formes des comportements non verbaux dans The Two Tower

Le deuxième groupe qui véhicule explicitement des messages non verbaux le fait en utilisant des symboles autres que les mots. Toutefois, il est, d'après moi, nécessaire de scinder ce groupe en deux suivant le niveau de conscience du joueur lors de l'émission de ces formes de comportements non verbaux.

Ainsi, j'inclus donc les emoticons, la convention des majuscules et la ponctuation dans le groupe des formes non-lexicales à production relativement consciente car celles-ci sont habituellement émises tacitement par le joueur. Tel qu'expliqué dans le chapitre précédent, les emoticons permettent au joueur de transcrire des comportements kinésiques faciaux tel le sourire, le clin d'oeil, la surprise, la colère qui transmettent l'idée des états émotionnels du joueur ou du personnage. L'écriture des messages complets en majuscule lui permet de transcrire l'élément paralinguistique du ton de la voix. Enfin, la ponctuation offre au joueur, comme elle le fait dans la littérature, la possibilité d'encoder les pauses et silences liés au discours (ex. [.], [...], [,]) ainsi que certaines caractéristiques paralinguistiques de ce dernier (ex. exclamation, interrogation) [48]. Le décodage de ces formes demande, comme pour les formes lexicales, un certain niveau de conscience de la part du joueur récepteur.

Le deuxième sous-groupe est composé de formes non verbales explicites qui véhiculent des messages non verbaux sans que le joueur en soit vraiment conscient. J'y inclus ce que j'appelle les caractéristiques chronémiques de la conversation soit le rythme et la synchronisation de l'émission des messages, les pauses et les coupures [49]. Bien qu'elles ne possèdent pas de signes visuels directement perceptibles, c'est par les espaces temporels séparant les messages de formes explicites qu'il est possible de les déceler. On peut donc dire, d'après moi, que ces formes sont indirectement explicites, raison pour laquelle j'ai choisi de les insérer au sein de ce groupe [50]. Ces caractéristiques peuvent, de façon plutôt incertaine étant donné les aléas de l'achalandage du réseau qui peuvent provoquer des délais de transmissions des messages (lag) et le fait qu'un joueur puisse ralentir son rythme d'émission en entretenant simultanément plusieurs conversations, informer les joueurs de l'attention portée à la conversation par un interlocuteur, de l'état de réflexion d'un joueur ou de son degré d'excitation. C'est d'ailleurs à partir de cet état d'excitation intimement lié au rythme d'émission des messages et souvent provoqué par des émotions fortes telles le bonheur ou la colère, que je pus identifier, lors de mes nombreuses observations de conversations et de logs, ce qui semblerait être une forme de communication non verbale observable dans les MUDs qui, jusqu'à ce jour, n'a pas été abordée dans les ouvrages des chercheurs s'étant intéressés au sujet. Selon mon hypothèse, cette forme particulière serait en fait la représentation directement explicite du niveau d'excitation d'un joueur lié à ses états émotionnels transmis. En effet, ce niveau d'excitation ayant atteint un certain seuil provoquerait chez le joueur une augmentation du rythme d'émission des messages au-delà de ses capacités qui se traduirait très souvent par l'apparition de fautes de frappes dépassant les taux habituels. Ainsi, grâce à l'observation directe du nombre élevé de fautes de frappes dans les messages émis par les joueurs, il serait possible, selon moi, de déceler non pas intuitivement à l'aide du contexte général de discussion mais concrètement l'intensité des émotions ressenties et transmises par les joueurs la plupart du temps de façon inconsciente.

Si cette hypothèse s'avérait valable, elle aurait plusieurs impacts théoriques importants sur notre conception de la communication non verbale dans les MUDs. Elle confirmerait la présence d'une forme de communication non verbale se démarquant des autres formes (ex. explicite lexicale, explicite non lexicale et même implicite) grâce à deux points majeurs. D'abord, contrairement aux autres formes, l'information qu'elle véhicule ne pourrait pas être perçue à l'intérieur du cadre du jeu de rôle. Cette information serait seulement considérée comme venant directement du joueur (ex. les fautes de frappe ne peuvent être vues comme des comportements des personnages). De plus, cette forme de communication non verbale offrirait aux observateurs une forme visible de l'intensité des émotions des joueurs sans que ces derniers en soient conscients, caractère qui, à première vue, ne semblerait pas possible étant donné le niveau de conscience requis afin de communiquer dans ce médium écrit. Toutefois, l'ampleur de cette communication inconsciente serait sans doute limitée par un seuil d'excitation des joueurs en dessous duquel la plupart des joueurs prendraient le temps de corriger leurs fautes.

Bien que très alléchante, je n'ai pas pu vérifier cette hypothèse dans le cadre de ma recherche car les échantillons sur lesquels je me suis basé pour l'avancer restent statistiquement non représentatifs étant donné leur nombre restreint. Afin d'effectuer une vérification concluante, il serait nécessaire d'entreprendre une étude longitudinale des comportements de certains joueurs nous permettant de comparer leur taux normal de fautes de frappe à leur taux lors de situations excitantes, entreprise qui dépasse largement l'étendue de mon projet de recherche. La voie reste cependant ouverte à des recherches futures.

Enfin, les joueurs, tout comme les lecteurs, pourront percevoir les comportements non verbaux sous une forme implicite. Ils pourront imaginer les comportements non explicités liés aux formes qui le seront. Ce processus échappe au contrôle conscient du joueur bien qu'il lui soit possible de l'influencer en choisissant les mots véhiculant les comportements de forme explicite lexicale. Ayant identifié toutes les formes principales que peuvent prendre les messages non verbaux transmis par le joueur du MUD T2T, il nous est possible de passer à l'exposition de la dernière étape du processus de transmission des comportements non verbaux entre joueurs, soit l'amplification des canaux.

La dernière étape du processus de transmission des comportements non verbaux à travers le personnage en est une de reconstruction. En effet, le lecteur ou joueur devra à ce stade effectuer le travail inverse de l'auteur du message en transformant les signaux visuels que sont les mots ainsi que leurs signes implicites (sous-entendus, contexte, comportements secondaires) en des signaux multisensoriels reproduisant les sensations de nature visuelle, tactile, auditive, olfactive, dermique et kinesthésique ayant été encodées par ce dernier. Ainsi, le comportement choisi et encodé de façon visuelle au début du processus par le joueur sera plus ou moins fidèlement [51] reproduit dans l'esprit de son interlocuteur et son sens pourra en être perçu. Toutefois, cette reconstruction ne se limite pas seulement à une représentation mentale des comportements décrits, mais implique aussi une facette corporelle. En effet, tel que l'indique J.B Watson (1926): "Chaque fois que l'individu pense, c'est la totalité de l'organisation corporelle qui est en jeu (...) on peut dire raisonnablement que la pensée peut être successivement kinesthésique, verbale ou émotionnelle..." cité par Cosnier 1982 p.279. Ainsi, la reconstruction dans l'esprit du lecteur des comportements véhiculés par l'écriture stimuleront dans son corps des sensations corporelles lui étant appropriées, phénomène très bien illustré par Merezhkovsky cité par Poyatos:

"we experience in the muscles and nerves directing the expressive gestures of our own bodies, upon reading similar descriptions, the beginning of those movements which the artist describes in the external appearance of his characters. And, by means of this sympathetic experience involuntarily going on in our own bodies, that is, by means of the most realistic and shortest path, we enter into their internal world. We begin to live with them and in them."(in Gibian 1970: 804)

Dans le cas de la communication dans les MUDs, il est plausible de croire que ce même phénomène prenne place dans deux cas. D'abord, d'après des témoignages recueillis, il semblerait que des réactions viscérales émotives fortes soient ressenties par les joueurs de MUDs, tout comme par d'autres utilisateurs de l'INTERNET, lorsqu'ils sont mis en présence de certaines formes explicites non-lexicales conscientes de la communication non verbale tels les emoticons et plus particulièrement l'écriture en majuscule (ex.: JE SUIS VRAIMENT FÂCHÉ). Bien que ce type de réaction puisse être comparé à celui observé lorsqu'une personne lit une lettre lui apprenant une mauvaise nouvelle, ce qui rend cette situation originale est le fait que les réactions soient provoquées non pas par le sens des mots écrits mais plutôt par les conventions explicites informant le lecteur sur le ton de ce qui est écrit. Ensuite, puisque les joueurs de MUDs transmettent leurs idées en transcrivant et en décrivant par écrit des comportements de nature verbale et non verbale (forme explicite lexicale), il est vraisemblable de croire qu'ils ressentent le même phénomène corporel lors de la lecture des messages leur étant envoyés. Cependant, il est nécessaire d'après moi de se questionner, concernant cette dernière constatation, sur la possibilité d'effectuer un saut théorique aussi direct entre la littérature et la communication dans les MUDs. Tout d'abord, tel que l'indique Poyatos, c'est lorsque le lecteur utilise les mots qu'il lit afin de se représenter mentalement les expériences multisensorielles encodées par l'écrivain qu'il lui est possible de les ressentir corporellement ( voir Poyatos 1983: 292). Mais, puisque le rythme de lecture généralement observé pendant la communication dans les MUDs, étant donné sa nature interactionnelle, est beaucoup plus rapide que celui de la littérature, il est pertinent de se demander si les joueurs de MUDs prennent toujours le temps de reconstruire mentalement les comportements décrits et transcrits par les autres. De plus, certains comportements décrits, tels les comportements de rencontre et de séparation, sont très souvent répétés, ce qui pourrait amener le joueur à effectuer une lecture n'impliquant pas une reconstruction mentale de la scène décrite par les mots à l'écran. Ainsi, je suis d'avis qu'on ne peut sous-entendre l'omniprésence d'un tel processus lors de la communication non verbale dans les MUDs. D'après mes expériences, les joueurs ne reconstruisent pas mentalement tous les comportements envoyés sous forme explicite lexicale par leurs interlocuteurs et par conséquent ils ne ressentent pas toujours les sensations corporelles qui leur sont liées, hypothèses qu'il serait intéressant de vérifier dans une recherche plus poussée.

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III.Résumé

Ainsi, après avoir fourni un inventaire exhaustif des outils théoriques pouvant être utilisés dans l'analyse de la communication dans les MUDs, plus particulièrement dans The Two Towers, qu'en avons-nous tiré?

Tout d'abord, qu'en est-il de la nature de cette communication que j'ai jusqu'ici qualifiée de non verbale? Peut-on vraiment la qualifier ainsi selon les définitions qui en ont été faites? Ainsi, en utilisant la définition que Kendon en donne:

"[...]toutes les façons par lesquelles une communication s'effectue entre deux personnes se trouvant en présence l'une de l'autre à l'aide de tout moyen autre que les mots. Elle [la définition] se réfère au fonctionnement communicationnel des activités corporelles, des gestes, des expressions faciales et de l'orientation, de la posture et de l'espacement, du toucher et de l'odorat, et des aspects de l'expression qui ne sont pas considérés comme faisant partie du contenu référentiel de ce qui est dit." [traduction libre] (Kendon 1981: 3) [voir note 30 pour la version originale]

Nous sommes en droit de nous questionner sur cette possibilité puisqu'une partie de cette communication s'effectue à l'aide de mots "qui font partie du contenu référentiel de ce qui est dit". Bien qu'apparemment paradoxal, dans le cas qui nous intéresse, ce contenu et ces mots servent à décrire, transcrire et identifier des comportements qui ne feraient pas partie du contenu référentiel s'ils prenaient place lors d'une interaction face à face classique et ainsi, à recréer cette illusion dans les esprits des participants. De plus, comme nous l'avons vu plus haut, une partie de cette communication non verbale prend une forme non-lexicale (emoticons, majuscules, ponctuation). Et enfin, elle prend une allure non-référentielle et non lexicale dans les messages véhiculés par le nombre de fautes de frappes observées dans les messages.

Mais alors, que connaissons-nous de la forme que prend cette communication dans ce type d'espace virtuel? Tout d'abord, nous savons que l'interaction peut s'articuler entre deux ou plusieurs personnes simultanément à des niveaux différents (différents canaux de communication tell, comm, etc). Nous savons de plus que cette interaction que nous avons qualifiée de différée implique des phases d'envoi et de réception de messages écrits séparées par de courts laps de temps, ce qui a comme conséquence de produire des règles d'échange propres à ce médium. Nous savons aussi que ces messages écrits sont caractérisés par une certaine oralité d'expression.

Et comment s'articule la communication? Nous sommes maintenant conscient que la communication dans les MUDs est médiatisée par une construction imaginaire symbolique (MUD; espaces virtuels, personnages et objets) qui oblige d'abord les joueurs à sélectionner consciemment les signes comportementaux, verbaux et non verbaux, qui véhiculeraient leurs messages s'ils étaient émis lors d'une interaction face-à-face et par la suite à les transformer en des signes visuels transmis par un système de communication graphique. Ces mêmes signes doivent éventuellement être retransformés dans l'esprit des interlocuteurs en leurs formes multisensorielles originales afin que ces derniers puissent en décoder le sens. Toutefois, nous avons avancé que parallèlement à cette forme de communication, il existerait peut-être une communication moins accessible à la conscience des joueurs qui permettrait la transmission de messages concernant l'état émotionnel de l'émetteur, normalement transmis par des systèmes corporels mais qui, dans ce cas, seraient explicitement transmis par le système graphique.

Ainsi équipés d'une proposition concernant la communication non verbale dans les MUDs, il nous est enfin possible d'analyser des exemples concrets d'interaction dans le MUD The Two Towers. J'effectuerai ceci dans le prochain chapitre en présentant tout d'abord la méthode utilisée pour recueillir et manipuler les données enregistrées dans T2T. Je poursuivrai en exposant une classification des types d'emotes pouvant être observés dans ce MUD. Je terminerai le chapitre en analysant la place occupée par la triple structure de base de la communication humaine dans les interactions au sein de T2T.

Chapitre 4: Les applications pratiques retour au début

Jusqu'ici, notre discussion s'est surtout maintenue à un niveau théorique. En effet, bien que basée sur de nombreuses heures d'observation et de collecte de données, notre analyse de l'organisation sociale du MUD The Two Towers ainsi que des modes de communication pouvant y être observés ne nous a pas permis d'illustrer le genre de manipulations qu'il est possible de réaliser avec les données brutes. Afin de donner un aperçu complet du phénomène de la communication non verbale dans les MUDs, nous aborderons ce sujet de façon plus pratique dans ce chapitre en mettant l'accent sur des transcriptions recueillies durant la terrain effectué dans T2T.

Nous débuterons ce chapitre en traitant du terrain d'étude effectué dans ce MUD ainsi que de la forme que prennent les données lorsque transcrites. Dans la section suivante, nous classifierons les différents types d'emotes pouvant être observés lors d'interactions dans T2T en nous inspirant d'une typologie élaborée par Cherny (1995). Nous terminerons le chapitre en analysant la place que prend la triple structure de base de la communication humaine dans les conversations observées dans T2T.

I.La conversation dans The Two Towers retour au début

A.Le terrain

Le terrain d'observation que j'ai effectué pour les fins de ce mémoire s'est déroulé dans le MUD nommé The Two Towers de façon plus ou moins constante entre les mois de septembre 1996 et décembre 1997. La méthode que j'ai prévilégiée tout au long de cette recherche fut celle de l'observation participante qui préconise la participation du chercheur à la vie de la communauté qu'il étudie. J'ai par conséquent débuté mon terrain en me créant un personnage [52] afin de m'intégrer au groupe de joueurs du MUD. Je me suis alors mis à me familiariser avec mon nouvel environnement, comme le fait tout nouveau joueur, en explorant les espaces virtuels le composant et en entrant en contact avec ses habitants.

Ainsi débutait ma collecte de données. Dès les premières rencontres, je commencai à prendre des notes concernant l'organisation sociale du MUD, ses normes et coutumes et les particularités de la communication entre joueurs pouvant y être observées. Je me mis aussi à effectuer des enregistrements de conversations (logs) auxquelles j'étais témoin ou je participais et qui me semblaient être pertinentes pour mon étude. Grâce à la nature même du lien établi entre le programme régissant le MUD et l'ordinateur de tout joueur, il m'était possible d'effectuer ces enregistrements sans que les autres joueurs en soient conscients. De plus, je décidai de tirer parti du relatif anonymat offert par le médium en n'indiquant pas d'emblée à mes interlocuteurs ma nature de chercheur. Je ne révélai ma situation qu'à quelques joueurs et joueuses qui devinrent des informateurs privilégiés répondant volontiers aux questions que je leur posais. Cette situation s'avéra un atout dans ma recherche car ainsi, il me fut possible de récolter mes données sans que ma présence n'influence trop leur qualité. En effet, étant perçu par les autres joueurs comme simplement un des leurs, ils n'avaient pas tendance à modifier leurs comportements en ma présence plus qu'ils ne le faisaient pour un autre joueur. Ainsi, les données que j'ai recueillies ont été minimalement distortionnées par ma présence lors de leur enregistrement, situation plutôt rare pour un ethnologue traditionnel qui se présente dans une communauté avec ses outils d'enregistrement (ex. caméra, enregistreuse à cassette) en main et qui ne peut que très difficilement cacher sa nature de chercheur.

Toutefois, le choix stratégique de dissimuler mon rôle de chercheur soulevait une question importante d'éthique. En effet, il est habituel chez les anthropologues de faire connaître leur intention d'enregistrer les interactions qu'ils entretiendront avec leurs sujets d'étude ainsi que l'utilisation qu'ils entendent faire des données recueillies. Bien que non orthodoxe, je justifie mon choix par le fait que la pratique d'enregistrer les interactions vécues dans un MUD est chose courante chez la plupart de ses utilisateurs et qu'elle représente une activité socialement acceptée. En effet, plusieurs joueurs effectueront ces logs afin de se remémorer plus tard des moments plaisants ou afin de cataloguer les endroits qu'ils auront visités. Étant moi même joueur à part entière, je considère que je détiens ce même privilège. J'ai toutefois pris des précautions afin de protéger l'identité des personnages qu'utilisaient les joueurs que j'ai observés lors d'interactions. J'ai changé tous les noms des personnages qui apparaissaient dans mes données afin de m'assurer qu'il soit impossible de retracer directement les propos d'un personnage. Cette mesure peut sembler superflue puisque l'identité réelle des joueurs est déjà protégée par leur utilisation de personnages qui, s'ils le désirent, peuvent ne pas les lier à leur identité réelle. Cependant, certains joueurs s'investissent tellement dans leur personnage qu'ils peuvent ressentir un fort sentiment de possession et d'attachement envers ce dernier et réagir avec véhémence à toute action qu'ils jugent préjudiciable envers lui. C'est par conséquent pour éviter tout malentendu que j'ai agi ainsi.

Possédant maintenant une meilleure compréhension des méthodes utilisées afin de récolter les données ayant servi à cette recherche, il est possible de nous attarder à la forme concrète que ces dernières prennent lorsque compilées.

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B.L'analyse d'une transcription

À ce stade-ci du mémoire, nous avons acquis une bonne compréhension théorique des différents modes de communication utilisés dans T2T. Cependant, la forme que prennent ces communications sur les écrans d'ordinateurs peut poser certains problèmes à un observateur extérieur. Puisque les prochaines parties du présent chapitre serviront à illustrer, à l'aide d'extraits de conversations réelles, différents concepts, il est pertinent à ce moment de présenter un exemple de transcription typique et d'en expliquer les éléments principaux.

Tout d'abord, les moyens informatiques que j'ai utilisés afin de me connecter au MUD ont influencé la forme des données de façon superficielle. En effet, l'ordinateur que je possède ne fonctionnant qu'en noir et blanc, les enregistrements que j'ai effectués ne contiennent pas les couleurs qui peuvent parfois être utilisées par les joueurs afin de différencier entre les nombreux types d'émission (ex. tell, say, etc.). De plus, le simple logiciel de communication que j'employais (Comit Lite) ainsi que l'application informatique que j'utilisais afin de me brancher (Telnet) ne m'offraient qu'une fenêtre de base pour observer les interactions. Ainsi, comme nous pouvons le voir aux lignes 2 à 5 et 19 à 24 de l'exemple 4,1 qui suit , certaines lignes de texte peuvent paraître entremêlées entre elles. Cette situation est causée lorsque des émissions venant d'autres joueurs ou de l'environnement apparaissent sur mon écran pendant que je tape un message. Ainsi, ma phrase se trouve disloquée par les messages que je reçois. Bien que quelques fois source de confusion, cette occurrence nous permet de déceler un aspect de la conversation dans un MUD qui nous échappe habituellement dans une transcription, soit le rythme de la conversation. Tel qu'indiqué au chapitre trois, la conversation dans un MUD est de nature spontanée et éphémère. Les émissions de tous types sont transmises dans l'immédiat sans être vouées à la postérité. Cette caractéristique est porteuse de sens dans une conversation et la lecture d'une transcription ne nous permet habituellement pas d'y accéder. Toutefois, les phrases disloquées qui peuvent quelques fois être observées dans mes données, représentent une forme cristallisée de cet aspect chronémique de la discussion, ce qui leur donne une certaine valeur représentative. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai choisi de les laisser sous leur forme primaire dans mes exemples.

Exemple 4,1: Transcription typique.

 

  1. Gorolith says: what kind of damage? what did it say?
  2. say I guess ^ Wellin: there is no game called arco to play..
  3. then that I can go kill elementals^ Miss: ACRO
  4. now Looner says: damage at >5 per hit!!
  5. ;)
  6. You say: I guess then that I can go kill elementals now ;)
  7. HP:60 EP:60 hp
  8. hp: 60/60
  9. end: 60/60
  10. > Gorolith falls down laughing.
  11. Bravechild says: i thought elementals were kinda cool...thats what i was told
  12. anyhow
  13. Looner says: hahahaha/
  14. Gorolith says: No...what was the description
  15. Looner says: I accidentally did that.
  16. Looner says: I accidentally did that.
  17. Bravechild tells you: sorry for the no goodbye but i just got hit with a fine
  18. Looner says: of what?
  19. Gorolith says: Like inflict, or massacre, or hit...etc
  20. Looner says: of who?
  21. Bravechild says: whoa....didn't see you there nol
  22. Bravechild falls down laughing.
  23. >l
  24. This is the famous courthouse of Hobbiton. Many a famous criminal has been
  25. captured and taken here. If you want to stay off the wrong side of the bars,
  26. then behave. If you have problems with others, you might want to report it to
  27. the authorities. A huge bench sits at the head of the courtroom with a wise
  28. looking man sitting behind it.
  29. There is a large instruction plaque on the wall.
  30. The only obvious exit is east.
  31. Bravechild the dunedain Runt (Impartial)
  32. Gorolith the silvan Strangler (Moral)
  33. Looner the dunedain Scrapper (Impartial)
  34. > ^ Wellin: ARCO OQ
  35. pokLooner falls down laughing.
  36. e bravechild Gorolith says: Like, did it say "someone inflicts massive damagfe" or what
  37. intLooner cries.
  38. the belly
  39. You poke Bravechild in the belly.
  40. > Bravechild says: yeah it said that
  41. Bravechild giggles.
  42. Looner says: It s
  43. Looner says: yep.
  44. Bravechild says: it said'someone hits you'
  45. Looner says: actually it also said hit very hard.
  46. Gorolith says: Well, looner, I can inflict, so he wasn't necessarily level 10
  47. Bravechild says: it also said that for me aswell
  48. Looner says: all the time.
  49. Gorolith says: I'm 5th level.
  50. ^ Wellin: ACRO = Amazing and Challenging Rip-Off
  51. -> Bravechild thinks that looner was lucky he came along
  52. ^ Silana laughs(notes de terrain, 1997)

     

Cette transcription, comme toutes les autres présentées dans ce mémoire, ne représente qu'un échantillon ponctuel d'une conversation prenant place à l'intérieur d'un contexte particulier. Ainsi, le ton du discours, son sujet, le nombre de participants, le lieu où il prend place, les propos l'ayant précédé peuvent être absents d'un extrait choisi, ce qui peut rendre difficile la compréhension des énoncés y étant inscrits. Une grande part d'information importante est ainsi évacuée par les limites que nous impose la forme des transcriptions. Cependant, pour la plupart des illustrations auxquelles serviront les extraits de conversation, cette forme décontextualisée servira nos besoins de façon satisfaisante.

J'ai aussi apporté certaines modifications à la forme des transcriptions afin d'en faciliter la compréhension. Tout d'abord, j'ai numéroté les lignes des extraits pour me permettre de les identifier de façon plus précise. De plus, j'ai volontairement changé la forme que prenait parfois mon indicateur d'attention du serveur régissant le MUD (prompt). Le serveur émet un symbole sur l'écran de tout joueur lui ayant ordonné d'accomplir une tâche afin d'indiquer que cette dernière est terminée et qu'il est prêt a en effectuer une autre. Chaque joueur contrôle la forme que prendra ce symbole. Dans les premières transcriptions que j'ai enregistrées, le symbole utilisé était plutôt compliqué et c'est pour cette raison que je l'ai éventuellement remplacé par un plus simple. Toutefois, afin de simplifier les transcriptions enregistrées pendant cette première période, j'ai choisi de remplacer ces symboles d'attention complexes ([HP:60 EP:60] [53], voir ligne 7) par un symbole moins encombrant ([>]). Ainsi lorsque ce symbole apparaît, on peut savoir qu'une action vient d'être effectuée par le serveur suivant ma commande ou que je suis en train de commander au serveur d'en effectuer une autre. À part les modifications du nom des personnages, de la numérotation des lignes et du symbole d'attention, je me suis efforcé de ne rien changer aux données que j'ai recueillies. J'y ai laissé, par exemple, les fautes de frappe que certains énoncés contenaient.

Une fois ces précisions données sur les manipulations volontaires ou non qu'ont subies les transcriptions dans ce mémoire, il nous est possible d'aborder les différentes façons dont peuvent être appréhendées les énoncés verbaux et non verbaux des joueurs.

Débutons par les énoncés émis à l'aide de la fonction say. Lorsqu'un joueur utilise cette fonction pour communiquer, son énoncé apparaît sur les écrans des joueurs présents dans la même salle précédé du nom de son personnage, du verbe says et de deux-points tel qu'on peut le voir aux lignes 1, 4, 11, 13, 14, 15, etc. Par contre, lorsque j'utilise cette même fonction pour communiquer avec les autres joueurs présents, une étape préliminaire de commande qui débute avec le verbe say (ou tout simplement le symbole ['] dans certains cas) suivi de l'énoncé que j'entends émettre, peut être observée avant l'émission du message (voir lignes 2 à 5). Lors de l'interaction, je dois ensuite appuyer sur la touche retour de chariot afin d'envoyer mon message, étape qui n'apparaît pas dans la transcription. Cette étape est suivie par l'émission réelle de mon message qui peut être perçue par les autres joueurs tel qu'indiqué plus haut et qui prend sur mon écran la forme You say: suivi de mon énoncé (voir ligne 6).

Dans le cas de la fonction tell, la situation est sensiblement la même. Si une personne m'envoie un tell, le nom du personnage suivi des mots tells you: et de l'énoncé envoyé apparaîtra sur mon écran (et seulement sur le mien) comme on peut l'observer à la ligne 17. Par contre, si j'envoie un message à l'aide de tell, l'étape préliminaire consistera à écrire tell ou son raccourci ["] suivi du nom du personnage et du message, ce qui produira sur mon écran: You tell [le nom du personnage] : [l'énoncé].

Les messages verbaux envoyés avec comm prennent toujours la même forme qu'ils soient émis par soi ou un autre, soit: ^ [le nom du personnage] : [l'énoncé], comme on peut l'observer aux lignes 2, 3, 34, 50, 52. L'étape préliminaire, si j'envoie un message de cette manière consiste à écrire comm ou son raccourci [^] suivi du message. Dans le cas de l'envoi par un joueur d'un message non verbal avec comm, on verra apparaître dans la transcription: ^ [nom du personnage] [action] (voir lignes 52). Si je suis l'émetteur d'un tel message non verbal, les commandes de l'étape préliminaire changeront pour comm: ou [^:].

Ce qui nous mène à aborder la question des emotes. Si je suis l'instigateur d'un tel énoncé, l'étape préliminaire ressemblera à: emote ou son raccourci [:] suivi du message, ce qui donnera dans la transcription: You emote: [nom de SON PROPRE personnage] [action]. Par contre, lorsqu'un joueur envoie un emote, simplement le nom du personnage suivi de son action apparaîtront à l'écran. Toutefois, cette émission peut être précédée ou non du symbole [->] comme on peut l'observer à la ligne 51. L'apparition de ce symbole est régie par le nombre de points "d'attention" (alertness) que possède mon personnage. Plus mon personnage possède de points, plus les emotes des autres joueurs seront précédés de ce symbole. Ce signe permet aux joueurs de différencier entre des actions inoffensives tel un emote et des actions ayant des conséquences réelles sur le personnage (ex. kill, steal).

Puisque les socials sont en fait une forme normalisée d'emote, il est normal de constater une grande ressemblance entre leur forme respective lors de leur émission. En effet, un social émis par un joueur sera représenté par le nom du personnage suivi de l'action décrite tel qu'illustré aux lignes 10, 22, 35, 37, 39 et 41. La seule façon de différencier entre l'émission par un joueur d'un social ou d'un emote est de connaître la liste des socials de T2T et des actions y étant reliés. La tâche est d'autant plus difficile du fait qu'il est possible pour tout joueur de personnaliser un social en le transformant à l'aide de la fonction set ou en lui ajoutant une variable lors de son émission. Ainsi, un joueur pourra transformer un social comme grin qui produit normalement le message [nom du personnage] grins evilly, en l'émission [nom du personnage] grins knowingly du simple fait de taper grin knowingly. Lorsque je produis moi-même un social, l'étape préliminaire consiste à écrire le mot-clé le déclenchant et toute variable si désirée tel qu'on peut le voir des lignes 35 à 38. On remarquera alors dans la transcription, comme à la ligne 39, la phrase: You [action prédéterminée ou variable insérée par le joueur]. Il est intéressant de noter que pendant la conversation présentée par l'exemple précédent, j'ai modifié le social de base poke qui normalement aurait produit You poke bravechild in the tummy, en You poke bravechild in the belly.

Enfin, à l'intérieur de certaines transcriptions, il est possible d'observer l'émission de certaines fonctions non communicatives impliquant une interaction avec le programme du MUD comme on peut le voir à la ligne 23 où j'ai écrit la commande l (look). Le résultat, qu'on peut voir de la ligne 24 à 33, n'est habituellement perçu que par le joueur l'ayant effectuée. Dans cette transcription particulière, il nous est aussi possible d'observer une fonction spéciale de communication à la ligne 7 qui permet au joueur de transmettre aux autres présents dans la même salle le nombre de points de vie et d'endurance qu'il possède à ce moment (lignes 8 et 9).

Grâce à ces précisions sur la forme que prennent les données lorsque transcrites, il nous est possible de passer à la partie plus analytique de ce chapitre en abordant d'abord les différentes catégories d'emotes pouvant être observées lors d'interactions dans T2T et par la suite en tentant de vérifier si la triple structure de base de la communication humaine est observable lors de ces mêmes interactions.

II.Les catégories d'emotes retour au début

Les emotes ainsi que les socials, tel qu'expliqué dans les chapitres précédents, sont des fonctions de communication qui permettent aux joueurs d'émettre sous forme explicite lexicale des énoncés décrivant les comportements non verbaux de leur personnage. Toutefois, cette définition qui nous a suffi lors de notre analyse théorique de la transmission des personnages entre joueurs, apparaît trop simple lorsqu'on désire analyser concrètement les comportements communicationnels des joueurs. En effet, il est possible d'identifier, comme l'a fait Lynn Cherny (1995), différentes catégories de ces fonctions jouant chacune des fonctions précises. Afin de mieux comprendre comment s'actualise l'utilisation de ce mode de communication, j'entends appliquer cette grille classificatoire à quelques transcriptions de conversations ayant pris place dans le MUD The Two Towers.

Cherny identifie cinq catégories d'emotes jouant différentes fonctions lors des interactions entre joueurs: les actions conventionnelles (conventional actions), les actions de rétroaction (back channels), les actions interactives (byplay), les narrations des faits (narration) et les expositions de faits (exposition). Le premier groupe est composé d'actions prescrites lors de certaines situations par les conventions interactionnelles du MUD telles les salutations d'accueil et de départ des personnages. Le deuxième groupe est composé d'emotes démontrant le degré d'implication des joueurs dans une discussion et leur compréhension de celle-ci. Les actions ludiques sont pour leur part des emotes émis comme blagues entre les joueurs. La quatrième catégorie inclut des messages faisant la narration d'actions prenant place autour du joueur (Irl [54]). La dernière catégorie est composée d'emotes exposant des faits divers ou personnels (ex. états d'âme). Cherny nous fait remarquer que les emotes des quatre premières catégories utilisent tous l'indicatif présent comme temps tandis que ceux de la dernière catégorie peuvent être composés avec d'autres temps.

Les emotes du premier groupe incluent toutes les actions devant être effectuées selon les conventions lors des interactions. On y trouve d'abord les fonctions de salutation rituelle prescrites par les conventions générales de T2T lorsque des personnages se rencontrent. L'action habituellement utilisée à cette fin est bow [55], tel qu'on peut l'observer dans l'exemple 4,2 qui suit aux lignes 2, 4, 32 et 36. Toutefois, d'autres actions telles que hug et shake pourront être utilisées suivant les goûts personnels des joueurs ou le niveau d'intimité partagé. Bien que la salutation entre personnages soit conventionnelle, il arrive souvent que des personnages ne saluent pas les autres présents dans une salle lors de leur arrivée. Afin d'expliquer cette occurrence courante, il est nécessaire d'aborder le rôle que joue ce type d'action conventionnelle. Une des fonctions du salut entre joueurs est l'établissement du contexte interactionnel. En effet, selon mes observations, la salutation permet aux joueurs d'indiquer l'intérêt qu'ils portent à l'ouverture d'un dialogue avec les autres présents ou à leur intégration à une discussion déjà en cours. Ainsi, un joueur désirant entamer une discussion avec un autre commencera habituellement en le saluant de façon non verbale ce qui provoquera souvent chez l'autre une réaction réciproque:

Exemple 4,2: actions conventionnelle (bow).
  1. > bow ralemo
  2. You bow to Ralemo with deeply felt humility.
  3. >
  4. Ralemo bows wearily.
  5. l ralemo
  6. As you look upon him you see a tall Silvan whith black hair that goes
  7. just beond his sholders, his eyes are squinted and red. He wears a black
  8. leather trench coat that is zipped up, his boots are black millitary
  9. style. There is a small knife covered in blood hanging from his coat
  10. belt.
  11. He seem willing to help where help is needed...
  12. He is carrying:
  13. A spellbook.
  14. A message stone.
  15. >
  16. Ralemo waves.
  17. wave
  18. You wave happily.
  19. >
  20. Ralemo left the game.
  21. Gomos enters.
  22. legend brav
  23. Gomos looks at you.
  24. echild
  25. Bravechild the dunedain Battle Lord (Moral)
  26. Last on: 7h 14m 7s ago.
  27. Age: 45d 5h 51m 52s Gender: male
  28. In other worlds known as when you have happiness, keep it(priceless)
  29. Can be mailed: Bravechild@Bywater
  30. > bow
  31. You bow with deeply felt humility.
  32. >
  33. Gomos leaves west.
  34. Gomos enters.
  35. Gomos bows suavely.
  36. Gomos leaves west.
(notes de terrain: 1998)

La salutation sert aussi à reconnaître les liens entre joueurs. Ainsi des amis se croisant dans une salle à travers laquelle ils passent, prendront souvent le temps de se saluer avant de poursuivre leur chemin. Ces deux rôles joués par la salutation peuvent expliquer pourquoi certains joueurs ne suivront pas les conventions et ne salueront pas les joueurs qu'ils rencontrent. Un joueur ne saluera habituellement pas les autres parce qu'il ne désire pas entamer une interaction (parce qu'il ne fait que passer ou parce qu'il désire explorer la salle en paix ou parce qu'il désire se reposer) ou parce qu'il n'y reconnaît aucun ami ou enfin parce qu'une interaction a déjà été entamée entre eux à longue distance à l'aide des commandes verbales comme tell.

À l'intérieur du groupe d'actions conventionnelles, on trouve aussi les différentes actions servant aux joueurs à indiquer ou à découvrir l'attention portée à une interaction. Par exemple, lorsqu'un joueur doit s'éloigner de son ordinateur et par conséquent se retirer momentanément de la discussion, il est habituel qu'il utilise le social afk ( You afk venant de away from keyboard). De plus, si un joueur désire vérifier si un autre personnage participe activement à une interaction, il utilise souvent le social poke. Toutefois, cette convention laisse plus de liberté aux joueurs et ceux-ci utiliseront souvent les emotes qu'ils désirent.

On trouve en troisième lieu les salutations de départ qui permettent aux joueurs de transmettre leur intention de se retirer de l'interaction quel qu'en soit la raison. La fonction la plus utilisée dans ce cas est certainement le social wave tel qu'on peut l'observer aux lignes 10 et 12 de l'exemple qui suit. Le joueur désirant partir utilisera cette fonction ce qui sera normalement suivi des waves des autres joueurs.

Exemple 4,3: actions conventionnelle (wave).

  1. Wolok says: ok meet at house in 10
  2. >nod
  3. Your light spell begins to flicker
  4. You nod.
  5. Alena says: are you meeting us, wolok
  6. Wolok bows suavely.
  7. Wolok says: with joy
  8. Bravechild falls down laughing.
  9. Alena says: which room
  10. Wolok waves.
  11. Wolok leaves east.
  12. Bravechild waves.
(notes de terrain: 1996)

Il arrive que certains joueurs ne suivent pas les conventions de départ en n'utilisant pas l'action appropriée. Ceci peut arriver lorsque le joueur part contre sa volonté (ex. lorsque sa connexion Internet est rompue) ou lorsqu'il ne part que pour un bref moment.

Avant de passer à la deuxième catégorie d'emotes il est d'après moi nécessaire de faire quelques remarques. Tout d'abord, toutes ces actions conventionnelles de salutations et d'interactions peuvent être remplacées par des messages verbaux. Il arrive en effet, que des joueurs choisissent d'utiliser des locutions verbales au lieu de commandes non verbales afin de répondre aux conventions d'interaction comme on peut l'observer dans l'exemple suivant aux lignes 3,4 et 6:

Exemple 4,4: locution verbale utilisée comme action de salutation.
  1. Popol enters.
  2. Mithal pats Gorolith on the back.
  3. Popol says: huulo
  4. Mithal says: Hello Popol
  5. Claire smiles.
  6. Claire says: hi
(notes de terrain: 1997)

Il semblerait toutefois d'après mes propres observations que l'utilisation des fonctions non verbales soit prédominante. C'est d'ailleurs cette grande utilisation de ces actions conventionnelles qui peut expliquer le fait qu'elles se retrouvent toutes sous forme de socials. On peut comprendre cette situation étant donné que l'utilisation d'un emote, bien qu'offrant une grande versatilité, demande plus d'énergie que la simple émission d'un social (la commande tapée est plus longue). Ainsi, les fonctions comme bow, rbow, shake, rshake, poke, afk et wave sont toutes préprogrammées sous formes de socials facilement utilisables.

De plus, il est nécessaire de noter que toute convention n'est pas obligatoirement suivie à la lettre et que par conséquent, il y aura toujours des joueurs qui choisiront soit de les ignorer soit de les transformer. C'est pourquoi on retrouvera souvent des joueurs qui utiliseront des emotes inhabituels afin de se démarquer ou qui choisiront tout simplement d'outrepasser ces conventions afin de choquer.

La deuxième catégorie d'emotes identifiée par Cherny est celle des rétroactions (back channels) durant la conversation. Ces emotes permettent aux interlocuteurs d'évaluer leur niveau d'attention et de compréhension de la conversation. Elle y inclut tout comportement qui indique "la compréhension, le questionnement ou l'appréciation des propos d'un interlocuteur" (Cherny 1995: 10). Bien qu'elle ne mette pas beaucoup d'emphase sur la question d'appréciation, je considère qu'il est nécessaire d'y inclure tout comportement émis en réaction directe aux propos ou aux actions des interlocuteurs. Ainsi, dans T2T, on trouve des actions sous forme de socials telles nod et ? qui indiquent la compréhension ainsi que grin, smile, laugh qui communiquent les réactions émotives provoquées par l'interaction. Tel que l'indique Cherny, le rôle joué par ce type d'emote est primordial pour assurer un niveau adéquat de compréhension entre joueurs et un sentiment de co-présence puisque dans un MUD la limitation des canaux communicationnels corporels ainsi que la possiblité que des joueurs se retirent d'une conversation en s'éloignant de leur clavier rend la tâche de vérifier le niveau d'implication dans une conversation plus ardue (Ibid: 9). Ce rôle de premier plan peut d'ailleurs être observé dans le fait que tout comme pour les actions conventionnelles, la majorité des emotes de rétroaction ont été codés sous forme de socials (Ibid). De plus, il est nécessaire de noter que la plupart des actions de rétroaction émises sous forme d'emotes peuvent être remplacées par des locutions verbales telles "yes", "right" et "huh". Enfin, bien que toute production de comportement indique la participation d'un joueur à l'interaction et que par conséquent toute action ou locution pourrait être perçue comme une rétroaction, je considère qu'il est nécessaire de n'inclure dans cette catégorie que les comportements qui n'ont comme fonction que d'indiquer le niveau d'implication dans l'interaction. On peut d'ailleurs voir un exemple de différentes rétroactions dans l'exemple 4,5 suivant (lignes 8, 15, 17, 19):

Exemple 4,5: rétroactions.

  1. Gorolith says: Some of our people have been going to the Rimsilval and
  2. Valacirca in exchange for their people.
  3. ' That good
  4. Gorolith says: That has been fun.
  5. , it must have built alot of relationships :)
  6. You say: That good, it must have built alot of relationships :)
  7. >
  8. Gorolith nods with the ease of many years.
  9. ' I just seen chewy
  10. Gorolith says: And helped people to learn a lot from people that they don't
  11. get a chance to spend time with.
  12. , he is with rimsilval?
  13. You say: I just seen chewy, he is with rimsilval?
  14. >
  15. Gorolith nods with the ease of many years.
  16. Gorolith says: Good old Chewy.
  17. Gorolith smiles simply.
  18. grin knowingly
  19. You grin knowingly
(notes de terrain: 1998)

J'appelle la troisième catégorie d'emotes identifiée par Cherny les emotes interactifs (emoted byplay). Ce sont des actions qui sont habituellement observées lors de discussions à plusieurs participants. Elles peuvent jouer le même rôle que les rétroactions comme indice d'implication dans la conversation ou tout simplement faire partie d'un jeu sémantique impliquant la participation des personnages présents ou l'environnement. Cherny les classifie à l'intérieur de cinq sous-groupes, soit les emotes interactifs interpersonnels, avec objets codés (objets décoratifs d'avant-plan, objets ancrés, objets libres, M.O.B.), avec objets non codés (objets décoratifs de fond), avec objets imaginés et d'actions réelles imaginaires.

Les emotes interactifs interpersonnels transmettent la simulation de gestes ou d'actions impliquant une interaction avec des personnages. Toute action ayant comme cible un autre personnage pourra faire partie de ce groupe comme on peut le voir dans l'exemple 4,6 aux lignes 1, 5, 6, 7 et 9.

Exemple 4,6: emotes interactifs interpersonnels.

  1. -> Bravechild chew carouba up and spits him out
  2. Bravechild burps rudely.
  3. Claire smiles.
  4. Carouba says: funny
  5. Carouba punches Bravechild in the face, spattering blood everywhere!
  6. Claire pokes Carouba in the tummy.
  7. Berange kicks Carouba.
  8. Berange says: woops
  9. Claire violently shakes Carouba.
  10. Sinat enters.
  11. Claire says: good good good!!
  12. Claire smiles.
  13. Bravechild says: so you have just coped a beating for being bad...and you
  14. haven't denied anything yet i think we are right
(notes de terrain: 1996)

Ces types d'emotes pourront être très simples (ex. Jean serre la main de Marie) ou très élaborés (ex. Jean prend Marie dans ses bras et lui fait danser le tango passionnément). De plus, ils pourront décrire des gestes réalistes qu'il nous serait possible d'observer dans la vie quotidienne (ex. Jean pousse Marie par terre) ou des actions tout à fait farfelues qui ne sont possibles que grâce à la latitude métaphorique offerte par l'écriture (ex. Jean fait exploser une bombe nucléaire sur la tête de Marie OU Jean prend contrôle du cerveau de Marie et lui fait dire: "Bonjour!"). Certains joueurs profitent d'ailleurs de cette latitude afin de créer des interactions amusantes qui s'apparentent à celles pouvant être observées dans des bandes dessinées. Toutefois, quel que soit le niveau de réalisme de ces emotes, il est sous-entendu par tous les joueurs que ces actions n'ont aucun résultat concret sur leur personnage (ex. Le personnage Marie ne mourra pas de l'explosion de la bombe nucléaire) [56]. Qu'ils soient produits sous des formes réalistes ou ludiques, ces emotes décrivant des gestes interpersonnels transmettent divers messages tout comme le font les gestes posés dans une interaction en face-à-face (ex. prendre quelqu'un par les épaules en lui parlant, ce qui pourrait équivaloir, selon le contexte, à une marque d'intimité). Ce sont en effet de puissants outils de communication qui peuvent, comme le font les comportements non verbaux dans la vraie vie, se substituer à une locution verbale.

Le groupe des emotes d'interaction avec des objets codés n'a de différence avec le type précédant que la nature de leur cible. En effet, les actions de ce type impliquent une interaction avec des objets virtuels descriptifs d'avant-plan, des objets ancrés, des objets libres ou des M.O.B. ayant été programmés afin de réagir à celles-ci. L'action requise ainsi que son résultat prennent la forme préalablement encodée dans l'objet par le programmeur. Ainsi, comme on peut l'observer dans l'exemple 4,7, avec l'utilisation du bon emote (dans ce cas-ci un social), le personnage pourra recevoir une arme et un bouclier du l'homme riche:

Exemple 4,7: emote d'interaction avec un objet codé.

  1. > l rich man
  2. You look at the man and are amazed. He is covered with riches.
  3. His clothes sparkle. He sees you staring at him and says: What are you
  4. staring at youngster? Bow and I'll give you some help if you need it.
  5. He is empty handed.
  6. > Fighter enters.
  7. Fighter leaves west.
  8. bow
  9. You bow.
  10. The man says: Here, this should help you... take it before anyone notices.
  11. Man gives you a wooden sword
  12. The man tells you: This'll come in handy too.
  13. Man gives you a wooden shield
(notes de terrain: 1998)

Certains de ces objets peuvent être activés par les joueurs lors d'interactions afin de produire un résultat s'insérant dans la discussion ou dans le jeu.

Le troisième type d'emote interactif s'apparente grandement au précédent. Toutefois, les emotes d'interaction avec des objets non codés impliquent un objet cible du genre descriptif de fond. Ainsi, bien que ces objets ne puissent réagir à de telles actions étant donné leur état passif de programmation, les joueurs effectueront tout de même ce type d'emote dans le but de produire des images intéressantes ou amusantes dans l'esprit des spectateurs.

Dans la même veine, les emotes d'interaction avec des objets imaginés impliquent une cible qui selon la typologie des objets ayant déjà été exposée n'existe pas (ni objet descriptif, ni objet ancré, ni objet libre, ni M.O.B.). Ce type d'emote pourra inclure l'utilisation de tout objet produit par l'imagination du joueur. Par exemple aux lignes 10 et 14 de la transcription suivante (exemple 4,8).

Exemple 4,8: emote d'interaction avec un objet imaginé.

  1. ^ Shoutguy: since you cant hear my shout, how bout this: you suck, morgoth
  2. Blue enters.
  3. Blue leaves west.
  4. Sate enters.
  5. Sate leaves west.
  6. ^ Mortho chuckles
  7. ^ Dalori uh oh's
  8. ^ Louze hasn't seen a nuke since I had color.......
  9. ^ Gamai heads underground
  10. ^ Doole: puts on his shades
  11. Mortho gets angry and sends forth a dark servant to do his bidding...
  12. The dark shape grabs Shoutguy and carries him back to Angband, where he
  13. is tortured, then slain.
  14. ^ Ral grabs his nuke proof sunblock
  15. ^ Clato: nukin' time
  16. ^ Louze: is that the new nuke??
  17. ^ Mortho: sorry, no muchroom today
  18. ^ Doole: ack! i wanted to see a mushroom cloud!
(notes de terrain: 1996)

La dernière catégorie d'emote interactif identifiée par Cherny n'implique pas une cible personnelle ou objectuelle mais décrit des actions qui se passent supposément dans la vraie vie (In real life). Un joueur pourra choisir d'envoyer un emote à travers son personnage décrivant ce qu'il est en train de faire réellement. Par exemple:

Torak prend un bout de papier et prend des notes sur ce qu'il voit à l'écran de son ordinateur.

Ces emotes sont perçus par les autres joueurs comme faisant partie du cadre de la vie réelle et non pas de celui du monde virtuel. D'après Cherny, ce qui les différencie de la prochaine catégorie d'emote est le fait que ceux-ci soient émis en réaction au propos d'une conversation.

Bien que la classification des emotes interactifs de Cherny se termine avec ce dernier type, je considère qu'il est nécessaire d'y ajouter une dernière catégorie. Elle est composée d'emotes et de socials sans cibles. Ce sont des actions qui ne ciblent personne en particulier mais qui s'insèrent dans le jeu de rôle entretenu par les participants du MUD. Ces emotes peuvent être émis de façon spontanée afin de transmettre une émotion ou afin de blaguer. Bien qu'ils soient habituellement observés lors d'interactions, ils diffèrent des rétroactions par le fait qu'ils ne soient pas directement produits en réponse aux propos d'une discussion afin d'indiquer la compréhension, le questionnement ou l'appréciation, mais plutôt en réponse au contexte l'entourant. Ils sont par conséquent des locutions à part entière véhiculant un message plus complexe que le simple niveau d'implication à la conversation. On peut d'ailleurs observer un exemple à la ligne 2 et 9 de l'extrait de conversation qui suit (exemple 4,9).

Exemple 4,9: emote interactif sans cible.

  1. Pike enters.
  2. Pike cries.
  3. Pike says: guess what?
  4. Gorolith sighs at Pike wistfully.
  5. Gorolith hugs Pike.
  6. > pat pike
  7. You pat Pike on the back.
  8. >
  9. Pike cries.
  10. Gorolith says: I can help you get back, Pike.
(notes de terrain: 1998)

Ils permettront souvent aux joueurs d'améliorer la qualité de la simulation en étoffant le jeu de rôle mis de l'avant par les joueurs.

La quatrième grande catégorie d'emote dite de narration permet aux joueurs d'exposer des actions qui sont en train de prendre place dans leur environnement réel au même moment. Ces emotes peuvent leur servir à exposer la raison de leur manque d'attention à une conversation courante (ex. Noraman parle avec sa mère qui vient d'entrer dans sa chambre), à expliquer leur départ de la conversation (ex. le social afk2p qui produit le résultat suivant: Marc goes off to pee happily), à offrir un sujet nouveau de discussion (ex. Larod est en train de lire un article intéressant dans le journal) ou tout simplement pour informer les autres joueurs de leur environnement immédiat comme on peut l'observer à la ligne 4 de l'exemple 4,10.

Exemple 4,10: emote de narration.

  1. > bow
  2. You bow with deeply felt humility.
  3. >
  4. ^ Marhedros rocks to the new Jane's addiction tune :)
  5. Pablo nods politely.
  6. ^ Ychel: Jane's addiction? didn't the lead singer die?
  7. ^ Marhedros: nope
(notes de terrain: 1998)

La dernière catégorie d'emote identifiée par l'auteure est celle d'exposition. Ces locutions servent aux joueurs à exposer "leurs états d'esprit, leurs croyances ou leur origine dans un contexte conversationnel" (Cherny 1995: 17 ). Tel que l'indique Cherny, ils s'insèrent parfaitement dans une conversation comme s'ils étaient des locutions verbales effectuées avec la commande say. Par conséquent, les joueurs y répondront souvent de façon verbale à l'aide de la commande say [57]. On peut en voir un exemple à la ligne 7 du prochain exemple.

Exemple 4,11: emote d'exposition.

  1. Pike appears from the shadows.
  2. Pike enters the game.
  3. > bow pike
  4. You bow to Pike with deeply felt humility.
  5. >
  6. Pike gracefully returns the bow with an even lower bow.
  7. Pike goes of to train b4 leaving again...
  8. Pike waves his arms over his head in slow motion groaning "l a a g!".
  9. Pike waves his arms over his head in slow motion groaning "l a a g!".
  10. Pike waves his arms over his head in slow motion groaning "l a a g!".
  11. Pike leaves west.
(notes de terrain: 1998)

Ceci complète la classification sommaire, grandement inspirée de celle de Cherny, que j'effectue des emotes et socials pouvant être observés dans T2T. Toutefois, il est nécessaire de remarquer que cette typologie est utilitaire. En effet, les classes sont basées sur les rôles que jouent ces fonctions dans une interaction. Toutefois, puisque l'utilisation et par conséquent le sens des emotes sont liés au contexte d'interaction, il est impossible d'insérer une locution non verbale particulière dans une catégorie absolue. En effet, un même social pourra être émis à deux occasions différentes et jouer un rôle différent à chaque fois.

Exemple 4,12: action conventionnelle de salutation utilisant le social nod (ligne 5).

  1. > bow
  2. You bow with deeply felt humility.
  3. >
  4. ^ Marhedros rocks to the new Jane's addiction tune :)
  5. Pablo nods politely.
(notes de terrain: 1998)

Exemple 4,13: rétroaction utilisant nod (ligne 13).

  1. Wildchild tells you: where are you
  2. say Axel says: hey
  3. >tell wildchild I'm here with axel. I'm with the
  4. ^ Kraun delights in making a room with a whole page of axes :)
  5. The guard asks you: What brings you to these parts, O weary traveler?
  6. guardThe guard asks you: What brings you to these parts, O weary traveler?
  7. at the intrance of the town
  8. A faint glow appears in the east.
  9. You tell Wildchild: I'm here with axel. I'm with the guard at the intrance
  10. of the town
  11. > Axel says: guess we'll wait for him
  12. nod
  13. You nod.
(notes de terrain: 1996)

Cette constatation nous oblige donc à considérer cette présente classification comme un outil d'observation et de compréhension du phénomène des émissions non verbales d'un MUD et non pas comme une typologie absolue englobant tous les usages possibles d'un emote. Cependant quel que soit leur type, les emotes ou socials servent à produire des effets rhétoriques adaptés au médium de communication offert aux joueurs, ayant chacun un impact particulier. Tandis qu'il est possible de faire dire "Salut" à notre personnage lorsqu'on en rencontre un autre dans un MUD, il est d'autant plus impressionnant du point de vue de l'expérience multi-sensorielle de l'environnement virtuel de faire incliner le premier devant l'autre et de produire une phrase comme: "Nolandir vous salue en se courbant gracieusement". C'est sans doute cette valeur rhétorique qui explique pourquoi il nous est possible de répertorier tant de formes d'emotes dans les interactions des joueurs du MUD, chacune jouant un rôle particulier suivant son contexte d'usage.

Cette section sur l'identification des emotes terminée, il nous est possible de passer à la deuxième partie analytique de ce chapitre portant sur la place qu'occupe le langage, le paralangage et la kinétique dans les communications des joueurs de T2T.

III.La triple structure de la communication humaine: retour au début

Plusieurs auteurs ayant abordé le sujet de la communication non verbale en interaction face-à-face identifient un lien étroit entre le langage, la kinésique et le paralangage. Par exemple, Kendon, dans son article sur l'utilisation de la gestuelle, nous présente l'association intime qui peut exister entre la trame verbale d'un énoncé et les gestes l'entourant. Ces gestes, comme il le démontre, peuvent entre autres servir à remplacer un mot, à dire des choses non appropriées étant donné le contexte social ou à transmettre des idées de façon plus efficace que pourrait le faire un énoncé verbal (1985: 232). Pour sa part, Cosnier parle du langage naturel comme étant "composé de trois sous-systèmes majeurs: le verbal, le vocal, le gestuel" (1982: 281). Pour Poyatos, tel qu'expliqué au chapitre trois de ce mémoire, ces trois éléments qu'il nomme le langage, le paralangage et la kinésique, forment ce qu'il appelle la triple structure de base de la communication humaine. Le langage y occupe une place primordiale puisqu'il nous permet de tenir des discours méta-linguistiques sur lui et sur les autres systèmes de communication. Cependant, d'après Poyatos, ce qui donne vie aux mots est en fait "une série d'éléments kinésiques et paralinguistiques qui, étant tous interreliés, supportent, contredisent ou mettent de l'emphase sur les mots" (1983: 179). De plus, ces trois systèmes sont tous produits par des émissions à base kinétique et "partagent les mêmes structures sémantiques et lexicales, ce qui leur permet d'opérer simultanément, en alternance ou même de se remplacer lors d'une interaction"(Ibid.: 179-180), constatation qui ne peut ou qui très rarement peut être faite dans le cas des autres systèmes (ex. thermique, dermique,...).

Poyatos a aussi remarqué que cette triple structure de base est prépondérante dans la littérature. En effet, il semble que le lecteur de roman perçoive principalement les comportements non verbaux des personnages provenant de ces trois systèmes et par conséquent, que les auteurs encodent surtout ceux-ci dans leurs romans (Ibid: 280) comme on peut l'observer dans l'exemple suivant.

Exemple 4,13: la triple structure de la communication humaine dans la littérature.

"Quand ils arrivèrent au quai, un étranger les guettait. Didace l'accueillit d'un salut silencieux et laissa l'autre parler le premier. Celui-ci, avant même de décliner le but de sa visite, sortit une bouteille de whisky et en offrit aux deux hommes. Didace refusa net. Mais brusquement, de son parler bref, il ordonna à Venant:
  • Prends mon coup, Survenant." (Guèvremont 1968: 157).

Cette constatation fit que je me questionnai sur la possibilité qu'une telle prépondérance de la triple structure existe dans les formes de comportements transmis par les joueurs de MUDs lorsqu'ils communiquent. En effet, puisque les joueurs de MUDs utilisent en partie les méthodes de l'écrivain sous la forme explicite lexicale afin de transmettre les comportements non verbaux à travers leur personnage, il est logique de supposer une même prépondérance de la structure triple. Cependant, la présence d'autres formes de communication dans le MUD limite-t-elle l'ampleur de la présence de cette triple structure?

De façon tout à fait théorique, il est d'emblée possible de constater la prépondérance de la triple structure dans les formes explicites non lexicales à production consciente. Les majuscules, lorsqu'utilisées de façon continue (ex. WHAT), indiquent l'élément paralinguistique de la tonalité de l'élocution. Les emoticons en tant que représentations graphiques d'expressions faciales sous-entendent une souche kinétique. Enfin, certains signes de ponctuation tels le point d'exclamation et le point d'interrogation véhiculent les aspects paralinguistiques de volume et d'intonation de l'élocution tandis que d'autres signes tels le point, la virgule et les points de suspension nous réfèrent aux relations chronémiques du discours. Pour ce qui est des fautes de frappe, il est impossible de leur associer un système somatique normal puisque ce phénomène est intimement lié au médium de communication qu'est le MUD. Enfin, les comportements chronémiques associés à l'émission des messages entre joueurs parlent par eux-mêmes.

Maintenant, qu'en est-il des formes explicites lexicales qui s'apparentent tellement aux outils utilisés par les romanciers? Afin d'évaluer leur situation, j'ai analysé la transcription qui suit afin d'y dénombrer les comportements des personnages s'apparentant à la triple structure de la communication.

Exemple 4,14: la triple structure de la communication humaine.

  1. Alena says: I was in Dale earlier today
  2. Bravechild says: is it far from here?
  3. ^ Maranis phts
  4. Alena says: and i died
  5. Wolok begins talking to the wall!
  6. Alena says: yes
  7. Bravechild pats alena on the back
  8. Alena at wolok raises an eyebrow.
  9. Bravechild says: there there
  10. Wolok says: ah so sorry
  11. Alena says: Not like it hasn't happened before
  12. Bravechild says: where do we fight the orc's..maybe he can join us there
  13. Bravechild smiles.
  14. Wolok flips his wrist and out pops a rose, which he presents to Alena!
  15. Alena bows suavely.
  16. ^ Rabillin: bye all
  17. Wolok smirks in amusement.
  18. Bravechild bows suavely.
  19. clap
  20. Bravechild falls down laughing.
  21. You clap your hands enthusiastically.
  22. ^ Maranis: cya rab
  23. Bravechild claps his hands enthusiastically.
  24. ^ Pike: Cya rabillin
  25. ^ Lorme: late
  26. Alena says: Does everyone know how to get to rivendell from here?
  27. say Wolok says: yep
  28. noBravechild says: cool there are heaps of these things aren't there
  29. , sorry
  30. You say: no, sorry
  31. Alena says: what things
  32. Wolok says: heaps of what things
  33. Bravechild shrugs.
  34. Bravechild sobs uncontrollably.
  35. Bravechild lets out a resounding cheer.
  36. Bravechild cries.
  37. Bravechild claps his hands enthusiastically.
  38. say Wolok pats Bravechild on the back.
  39. Alena says: oh those
  40. Bravechild waves.
  41. socialsBravechild pats his head and rubs his tummy at the same time.
  42. ? :)
  43. You say: socials? :)
  44. > ^ Pike loves killing orcs
  45. Bravechild pats you on the back.
  46. Wolok pats himself on the back.
  47. Bravechild pats his head and rubs his tummy at the same time me.
  48. Wolok tangos with himself passionately!
  49. Alena says: especially when you can create your own
  50. ^ Lorme: that keeper of the stone chick is hard..
  51. Bravechild falls down laughing.
  52. ^ Maranis: keeper of the stone?
  53. Alena whispers something to Wolok.
  54. ^ Maranis: you mean by rivendell?
  55. ^ Lorme: yep
  56. Bravechild says: how to tango
  57. Alena says: wild, you know how to get to rivendell?
  58. -> Wolok begins to slowly danc the hornpipe. . .faster . . . Faster. . .
  59. FASTER. . . and he falls!
  60. Alena shakes her head.
  61. giggle
  62. You giggle.
  63. Alena says: here's a plan
  64. nod
  65. You nod.
(notes de terrain: 1996)

Dans cette transcription deux conversations sont en cours simultanément. La première entre Alena, Wolok, Bravechild et moi qui nous trouvons dans une même salle et par conséquent qui utilisons principalement la commande say pour communiquer et la deuxième entre Maranis, Rabillin, Pike et Lorme sur le canal commun (comm). On peut dénombrer dans cet extrait, cinquante-neuf (59) émissions de tous genres (say, comm, emote, etc.) dans lesquelles on retrouve vingt-huit (28) élocutions verbales (comm: 7, say: 21), trente-et-une (31) émissions non verbales explicites lexicales (emotes: 5, socials: 25, transcription paralinguistique [58]: 1), un (1) emoticon, une (1) utilisation des majuscules comme signal paralinguistique et dix-huit (18) signes de ponctuation volontairement utilisés ( [!]: 3, [?]: 5, [...]: 4, [..]: 2, [,]: 3) [59]. À l'intérieur des trente-et-une (31) émissions non verbales lexicales on peut observer trente-huit (38) actions différentes décrites dont vingt-huit (28) sont de nature kinésique, huit (8) de nature paralinguistique, une (1) de nature proxémique et une (1) non classable (ligne 44: emote d'exposition).

Si on compile l'ensemble des émissions, on obtient un tableau éloquent:

u Langage: vingt-huit (28) évocations (comm: 7, say: 21).

u Paralangage: dix-sept (17) évocations (socials, emotes: 8, Majuscules: 1, Ponctuation [!],[?]: 8).

u Kinésique: vingt-huit (28) évocations (socials, emotes: 28, emoticon: 1).

u Proxémique: une (1) évocation (emote: 1, ligne 5).

u Silence et/ou immobilité: neuf (9) évocations (ponctuation: [...]: 4, [..]: 2, [,]: 3) [60].

Bien que sommaire, cette compilation semble indiquer la prépondérance d'actions évoquant des comportements de nature linguistique, paralinguistique et kinésique.

La même constatation peut être faite lorsqu'on observe la liste impressionnante des socials accessibles dans le MUD. En effet, dans les deux cent dix-huit (218) socials offerts aux joueurs (voir appendice A), on peut compter deux cent trente (230) actions. Ces dernières évoquent:

u cent trente-cinq (135) comportements de nature kinésique.

u cinquante-deux (52) comportements de nature paralinguistique.

u neuf (9) comportements de nature linguistique.

u quatre (4) comportements de nature chimique.

u un (1) comportement de nature dermique.

u un (1) comportement évoquant l'immobilité.

u vingt-huit (28) comportements inclassables.

De ces résultats, on peut tirer quelques observations. Tout d'abord, on remarque le peu d'actions linguistiques sous forme de socials, ce qui semble comfirmer notre choix de placer les socials, ainsi que leurs parents les emotes, dans la catégorie des comportements non verbaux. De plus, on remarque la prépondérance du système kinésique et du système paralinguistique dans les autres. Enfin, il est intéressant de noter que la majorité des socials inclassables est composée de socials d'exposition de situation ou d'état d'esprit (ex. You feel like Buddha for just a moment.), tandis que le reste est formé de narrations de situation réelle (ex. Marie is afk = Marie is away from the keyboard), de blagues liées aux fautes de frappe (ex. girn, smiel) ou tout simplement d'actions ambiguës (ex. bing, beg).

Pour faire cette analyse de la présence de la triple structure de la communication dans T2T, j'ai utilisé une grille d'observation s'inspirant de la grille qu'utilise Poyatos pour évaluer cette structure dans les romans (Poyatos 1983: 277-289). Avec l'aide de sa grille, Poyatos classe sans problème apparent de nombreux exemples de comportements de nature paralinguistique et kinésique tirés de divers romans. Toutefois, lorsque j'ai tenté de répéter l'expérience en l'adaptant aux données que j'avais recueillies dans le MUD, j'ai eu une certaine difficulté. En effet, bien que Poyatos ne le mentionne pas dans son ouvrage, certains verbes véhiculant les idées d'actions peuvent transmettre une représentation ambigüe de ces dernières aux lecteurs. Cette situation survient lorsqu'on tente d'identifier les systèmes communicationnels desquels émerge un comportement décrit en mots. Comme nous l'avons exploré au chapitre précédent, un comportement véhiculé par quelque canal ou ensemble de canaux qui soit doit passer par une étape de réduction de canal pour être transformé en mots. Une fois les mots lus par le récepteur, ce dernier doit amplifier les canaux afin de reconstruire mentalement l'apparence du comportement décrit et de ceux l'entourant implicitement. Lorsque les mots véhiculent un comportement habituellement produit par un seul système communicationnel comme frapper, pousser, courir, et que les comportements implicites y étant associés sont d'un ordre secondaire, il est plutôt aisé de l'identifier. Toutefois, lorsque les mots décrivent un comportement complexe impliquant plusieurs systèmes tel pleurer ou qu'ils ne font qu'esquisser un comportement tel le mot "prier", alors il est difficile de les situer à l'intérieur d'un seul système en particulier. Prenons le verbe "pleurer" comme exemple. Pour certains, l'action de pleurer se limitera à verser des larmes (système chimique) tandis que pour d'autres, elle impliquera aussi des cris (système paralinguistique) et des soubresauts (système kinésique). Maintenant, si on lit un énoncé comme: "Jean pleure" sans plus de détail, il est difficile de décider dans quel système l'insérer [61] . De même, tout verbe qui ne décrit pas un comportement mais qui expose un état d'esprit pouvant ou non s'extérioriser par des comportements communicationnels ne peut être assigné à un système en particulier (ex. "Jean montre son accord").

Ceci dit, bien que cette classification ne puisse être établie de façon absolue, une majorité des comportements utilisés pour mon analyse sont décrits de façon assez précise pour nous donner une idée générale de la prépondérance du langage, du paralangage et de la kinésique dans la communication dans les MUD. Il serait tout de même intéressant et pertinent à l'avenir de pousser la question afin de remédier à l'ambiguïté de ce type d'analyse, but qui dépasse présentement les limites de ce mémoire.

Ainsi se termine cette brève exploration pratique des usages auxquels peuvent se prêter les données brutes recueillies dans un MUD. Nous avons d'abord pu voir quel type d'observation fut nécessaire à la collecte de données pour ce mémoire ainsi que les implications éthiques de cette façon de procéder. Nous avons aussi exposé les différentes transformations qui durent être effectuées sur les données brutes afin de les rendre intelligibles dans le texte de ce mémoire. Ce chapitre nous a aussi fourni un outil pratique d'analyse et de classification des emotes qui s'avère efficace pour comprendre leur utilisation ainsi que leurs différentes formes. Nous avons terminé ce chapitre tout d'abord en nous questionnant sur la place que joue la triple structure de base de la communication humaine dans les interactions entre joueurs de T2T et en démontrant la prépondérance de celle-ci.

Conclusion retour au début

Ainsi se termine notre exploration du MUD The Two Towers et des formes qu'y prend la communication non verbale. L'exercice fut souvent ardu étant donné le manque de points de référence mis à notre disposition afin de situer ce phénomène à l'intérieur du champ anthropologique. Cette situation fut causée par l'aspect grandement exotique du milieu des MUDs et c'est d'ailleurs afin de palier cet état des choses que ce mémoire à été élaboré. En effet, nous nous sommes donné comme but de démystifier et de présenter aux lecteurs le phénomène des MUDs en offrant une image générale de la communauté du MUD T2T et de ses structures, ainsi qu'une analyse approfondie de la forme qu'y prend la communication. Cependant, cet objectif a été nuancé par notre hypothèse voulant qu'il soit possible et profitable d'utiliser les méthodes et les théories anthropologiques afin d'étudier ces milieux. Plus particulièrement, nous avons supposé que les comportements communicationnels observés dans T2T puissent être compris et analysés de façon satisfaisante grâce aux théories existantes sur la communication non verbale en interaction face-à-face.

Suivant ces balises, notre ouvrage a produit quatre chapitres qui explorent divers aspects du MUD T2T.

Le premier chapitre nous a servi d'entrée en matière en nous permettant tout d'abord de voir comment la transformation de la perception de l'ordinateur comme simple machine à calculer en une machine à communiquer a soutenu l'émergence de divers milieux sociaux, tels les MUDs, dans le super réseau informatique qu'est l'Internet. Cette constatation effectuée, il nous a ensuite été possible d'étudier le caractère de l'utilisateur moyen utilisant l'Internet ainsi que les bases de la culture qu'il partage avec les autres membres de cette communauté. Toutefois, il nous a été nécessaire de préciser que cette image générale de la communauté et de la culture de l'Internet devait être raffinée par l'étude poussée des nombreuses sous communautés de l'Internet (MUDs, IRC, Usenet, WWW) qui possèdent chacune une culture plus détaillée que celle du réseau en général. Nous avons ensuite esquissé différents impacts que l'Internet a sur notre image de soi, sur nos modes d'interaction et de communication, sur nos institutions sociales. À titre d'exemple, nous nous sommes intéressés aux ouvrages de quelques chercheurs qui ont abordé le sujet des MUDs sous diverses approches. Cette brève énumération des ouvrages de ces auteurs nous a permis, par le fait même, de situer quelque peu ce mémoire dans le domaine de la recherche sociale sur l'Internet. Enfin, afin d'affiner cette mise en situation, nous avons exposé les différentes voies d'exploration scientifique de ce milieu identifiées par Escobar et nous avons ainsi positionné notre démarche dans le domaine naissant de la cyberanthropologie.

Le deuxième chapitre nous a permis de pénétrer au coeur de notre sujet en abordant la nature même d'un MUD. Ainsi, en suivant leur évolution dans le temps, nous avons pu définir les MUDs comme des lieux virtuels encourageant des interactions de nature ludique entre leurs participants sous formes écrites. Nous nous sommes ensuite intéressés à l'histoire même du MUD nous ayant servi de terrain de recherche ainsi qu'à ses caractéristiques. Nous avons d'abord établi le rôle primordial du thème dans l'établissement du contexte d'interaction d'un MUD. Puis, nous avons décrit le processus de création du personnage qui implique de nombreux choix de la part du joueur (sexe du personnage, race et profession, nom du personnage, description). Nous nous sommes ensuite attardés à l'organisation spatiale de l'espace virtuel ainsi qu'aux objets les occupant. Cette analyse nous a permis d'établir une typologie exhaustive et originale des différents types d'objets qui peuvent être trouvés dans T2T et dans les MUDs de façon générale. Nous nous sommes ensuite intéressés au contexte interactionnel du MUD en abordant les différentes façons de communiquer mises à la disposition des joueurs (tell, say, emote, ...). Nous avons poursuivi en illustrant le contexte social du MUD caractérisé par la hiérarchisation des relations entre joueurs basée sur l'expérience de jeu, par des lois et normes comportementales prescrites aux joueurs et par des groupements de joueurs appelés guildes qui s'insèrent dans la trame thématique du MUD. Nous avons conclu ce chapitre par une analyse du MUD et des activités y prenant place sous l'optique du jeu. S'inspirant de la définition du jeu de Caillois, il nous a été possible de montrer comment le MUD est un jeu s'insérant dans plusieurs catégories ludiques (Agon, Mimicry, ...).

Ayant cerné le milieu d'interaction du MUD, nous avons pu entamer le chapitre suivant en débutant l'analyse de la communication non verbale observée dans T2T. Afin d'offrir une image générale des théories portant sur la communication non verbale en face à face qui nous serviraient plus tard pour notre analyse, nous avons tout d'abord rapidement esquisser les démarches de recherche nous ayant ultimement permis de trouver le modèle de Poyatos duquel nous nous sommes inspirés tout au long de ce mémoire. Nous avons ensuite défini le type d'interaction trouvé dans les MUDs. Ainsi, après l'avoir comparée à d'autres types d'interaction (communication épistolaire, communication directe réduite), nous avons conclu qu'il était possible de la considérer comme une interaction différée caractérisée par l'utilisation de l'écriture sous une forme très "orale" et par des échanges presque synchroniques. Nous avons ensuite introduit les concepts de canaux et de systèmes communicationnels (langage, paralangage, kinésique,...) ce qui nous a permis de passer directement à l'étude de la communication dans le MUD. Cette étude nous permis d'élaborer un modèle de la transmission des comportements verbaux et non verbaux entre les joueurs du MUD inspiré de celui que Poyatos a créé pour la littérature. Nous avons ainsi pu illustrer les différentes étapes de la transmission de messages entre joueurs qui passent par l'encodage des comportements, par la réduction des canaux, par la mise en forme écrite des comportements, par l'amplification des canaux et enfin par le décodage du message. De plus, à l'intérieur de ce modèle, il nous a été possible d'élaborer une classification englobante et inédite des formes de comportements verbaux et non verbaux observés lors des communications dans le MUD.

Armés de cette base théorique sur la communication non verbale dans T2T, il était temps d'illustrer de façon pratique la nature des données nous ayant permis d'élaborer notre analyse. Ainsi, nous avons d'abord exposé les conditions dans lesquelles la collecte de données fut effectuée sur le terrain. Nous avons ensuite offert certaines précisions concernant la forme que prennent les données lorsque transcrites dans ce mémoire afin d'en faciliter leur compréhension par le lecteur. La deuxième partie du chapitre s'est attardée aux nombreux types d'emotes. Nous avons découvert, à l'aide d'exemples, comment certains impliquaient des interactions avec d'autres joueurs tandis que d'autres étaient produits en interaction avec l'environnement virtuel. Nous avons aussi pu identifier les différentes fonctions leur étant associées (salutation, rétroaction, ...). Nous avons terminé ce chapitre d'exploration pratique en démontrant brièvement la prépondérance de la triple structure de la communication humaine dans les communications observées dans le MUD.

En rétrospective, il est possible d'affirmer que notre hypothèse portant sur l'utilité de l'observation participante et de la description ethnographique pour l'étude des MUDs, semble être confirmée par l'analyse de la communauté de T2T et de ses structures que nous avons effectuée grâce à ces méthodes. De plus, il semblerait que l'utilisation des théories, concepts et modèles portant sur la communication non verbale en face à face soit efficace pour l'étude des interactions trouvées dans T2T. La grande utilité des modèles de Poyatos portant sur la transmission des comportements des personnages dans la littérature pour notre propre analyse en est un parfait exemple.

Après ce constat des réalisations de ce mémoire, nous sommes de l'avis que notre but visant à présenter le phénomène des MUDs et les particularités de la communication pouvant y être observée, a été atteint.

Cependant, nous croyons que ce mémoire a une portée beaucoup plus grande. En effet, la nature peu orthodoxe de son objet d'étude ainsi que les méthodes d'analyse lui ayant été appliquées nous obligent à nous questionner sur la définition et l'essence de concepts théoriques qui sont depuis d'innombrables années au coeur de la recherche anthropologique soient les notions de communauté, de culture et de perception du monde.

Lorsque nous nous sommes attardés à la composition du groupe d'individus évoluant dans T2T, nous avons choisi de l'appeler communauté virtuelle. En effet, nous avons alors mis l'accent sur le partage par les individus du groupe de buts généraux communs, soit le jeu de rôle et l'interaction. Cependant suivant d'autres définitions telle celle proposée par l'ethnologie des société paysannes qui la voie comme:

"une unité sociale restreinte, vivant en économie partiellement fermée sur un territoire dont elle tire l'essentiel de sa subsistance. Elle associerait, en proportion variable, propriété collective et propriété privée et soumettrait ses membres à des disciplines collectives dans une sorte de tension constante vers le maintien de sa cohésion et la pérennisation de son existence" (Gossaux 1992: 166),

cette interprétation est un peu plus difficile à faire. Effectivement, la plupart de ces définitions, tout comme celle citée ici, implique habituellement la présence d'un espace géographique délimité occupé et utilisé par le groupe d'individus, ce qui n'est pas le cas dans un MUD. Toutefois, si nous faisons un saut théorique et acceptons l'espace disque utilisé par le MUD sur son serveur informatique comme son territoire et si nous prenons ses institutions et règles de conduites comme les disciplines permettant sa cohésion, il nous est peut être possible de passer outre cette distinction physique. Toutefois, nous devons nous demander si ce saut est utile ou s'il vaudrait mieux redéfinir tout simplement la communauté en prenant compte de la réalité des MUDs. Ou serait-il encore mieux d'inventer un nouveau terme pour définir ces regroupements sociaux? Loin de nous offrir une réponse définitive, les MUDs nous invitent à réévaluer notre définition de ce qu'est une communauté à l'aide d'une optique originale.

La même constatation peut être effectuée concernant le concept de culture. Nous avons fait le choix, au début de ce mémoire, d'utiliser le terme culture afin de décrire les normes, le langage, les comportements et les valeurs partagés par les individus de T2T et ce, bien qu'aucune structure sociale autre que celles trouvées dans le MUD la soutienne. Cette culture ne produit aucun artefact physique lui étant propre. Dans mille ans, on ne pourra ni trouver de poterie ni de pointes de flèches. Ses seuls artefacts sont des fichiers informatiques placés quelque part dans l'Internet qui ne prennent sens qu'à l'intérieur des esprits des joueurs qui les découvrent grâce à leur imagination. Mais une culture peut-elle n'exister que dans les esprits de ses membres? Peut-on alors parler de culture? Là encore, nous nous retrouvons confronté par des questionnements qui requièrent une révision de l'idée qu'on se fait de la culture.

Enfin, notre étude portant sur la transmission des comportements non verbaux entre joueurs élaborée au chapitre trois, s'insère directement dans le débat anthropologique entourant ce que Robert Crépeau nomme "l'écologie de la connaissance" (1996). En effet, nos questionnements portant sur les façons de percevoir les messages envoyés sous forme écrite ainsi que sur l'utilisation qu'en font les interlocuteurs nous ramènent aux questions soulevées par des chercheurs comme Durkeim, Mauss, Lévi-Strauss, Descola, Davidson et Crépeau concernant la relation entre la réalité et sa perception par l'être humain. Ainsi, la position soutenue de façon générale par Durkeim, Mauss, Lévi-Strauss et Descola voulant que la véracité d'une affirmation sur une réalité quelconque "s'effectue à un niveau" qui est "primordialement la représentation d'un donné sensoriel externe à l'individu ou à la culture" (Crépeau 1996: 26) est quelque peu secouée par la virtualité de l'environnement dans lequel évoluent les joueurs. Comment alors parler de réalité objective lorsque tout est virtuel et n'existe que dans l'esprit des joueurs qui interagissent entre eux. Cette constatation semblerait ainsi donner foi à la position de Davidson (1991) et de Crépeau (1996) qui postulent que la réalité d'un objet n'est définie que par une négociation communicationnelle, une "triangulation", entre au moins deux individus, de propositions sur la réalité de cet objet. Qu'en est-il vraiment? Nous ne pouvons le dire aujourd'hui, mais une chose est sûre: les MUDs et les interactions pouvant y être observées sont un milieu riche pour tout chercheur qui s'intéresse à ces questionnements.

C'est pourquoi, plus qu'un simple terrain de recherche, ces espaces virtuels ainsi que leurs utilisateurs nous forcent, en tant qu'anthropologue, à s'interroger sur nos outils de recherche, sur nos concepts et théories ainsi que sur les voies futures qu'empruntera notre science.

Il est de nos plus grands souhaits que ce mémoire ait réussi à éveiller chez le lecteur un intérêt pour cette nouvelle frontière et qu'avec sa curiosité ainsi attisée, il y trouve des outils et connaissances utiles qui lui permettront de se lancer avec assurance dans l'exploration de ces espaces merveilleux que sont les MUDs.

Lexique retour au débutdébut

Alignement: Caractéristique d'un personnage de MUD se référant à sa moralité. L'alignement peut être qualifié de bon ou de méchant.

Email: ou en français Courrier électronique. Service de correspondance de l'Internet permettant aux utilisateurs de s'envoyer des messages.

Gods et Godesses: ou en français Dieux et Déesses. Ce sont habituellement les titres donnés aux administrateurs d'un MUD (le terme Wizard est parfois utilisé).

Hypertexte: Présentation de l'information qui permet une lecture non linéaire grâce à la présence de liens sémantiques activables dans les documents.*

Internet: Réseau informatique mondial constitué d'un ensemble de réseaux nationaux, régionaux et privés, qui sont reliés par le protocole de communication TCP-IP et qui coopèrent dans le but d'offrir une interface unique à leurs utilisateurs.*

IRC: de Internet Relay Chat. Application de l'Internet permettant à ses utilisateurs d'entretenir des discussions écrites de groupe ou privées de façon pratiquement simultanée.

lag: Situation occasionnelle dans l'Internet caractérisée par un ralentissement du rythme d'envoi et de réception d'information véhiculée par le réseau.

MUD: de Multi-User Dungeon ou en français Donjon à Usagers Multiples. Ce sont des espaces virtuels où des utilisateurs se rencontrent afin de communiquer et de jouer à des jeux de rôles entre eux.

MOO,MUSH,...: Types de MUD

Newbie: ou utilisateur novice. Terme désignant des utilisateurs peu expérimentés de l'Internet et des MUDs.

Newsgroups: Groupes de discussion prenant place dans l'Internet. Ils permettent à des milliers d'utilisateurs d'échanger, de façon écrite, sur de nombreux sujets.

Serveur: Composante d'un modèle client-serveur abritant une ou des bases de données auxquelles peuvent faire appel les utilisateurs du réseau, à partir de leur propre ordinateur.*

Spam: ou polluriel: Terme donné à des messages de peu de valeur ou d'une longueur excessive qui sont trouvés dans l'Internet.

Talk: Service du réseau Internet permettant à deux internautes de communiquer en temps réel au moyen de messages affichés à l'écran.*

Usenet: Réseau informatique indépendant de l'Internet mais toutefois accessible par ce dernier, qui gère les groupes de discussions appelés Newsgroups.

WWW: de World Wide Web. Système basé sur l'utilisation de l'hypertexte, qui permet la recherche d'information dans Internet, l'accès à cette information et sa visualisation.*

*: Les définitions suivies d'un astérisque (*) ont été tirées du Vocabulaire de l'Internet de l'Office de la Langue Française du Québec.

Bibliographie retour au début

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Notes retour au début

1Tout au long de ce mémoire, l'abbréviation T2T se référera au MUD The Two Towers retour texte

2Le moment de l'envoi d'un message est séparé par un assez long laps de temps du moment de sa réception. retour texte

3Il est à noter que Usenet n'est pas seulement une application de l'Internet, il se retrouve sur d'autres réseaux informatiques tels BITNET et peut ne pas être présent sur certains sites de l'Internet . Pour une explication plus détaillée, voir North 1994 aux pages 9 à 11. Retour texte

4 "[...] a superstructural society that spans many mainstream societies and is dependent upon them for its continued existence. While inheriting many cultural elements from the societies that it spans, this superstrucutral society nonetheless supports its own distinct culture." (North 1994: 64). Retour texte

5Voir lexique pour les termes. Retour texte

6Bien que les deux soient en partie reliés. Retour texte

7Pour toute référence ultérieure au premier MUD de Trubshaw et Bartle,le nom MUD1 serait utilisé afin d'éviter la confusion entre ce jeu particulier et le genre de jeu en général. Retour texte

8Curtis considère par conséquent que le MUD n'est pas un jeu. Toutefois, comme nous le verrons dans le section E de ce chapitre, nous ne sommes pas de cet avis. Cette position de Curtis est due, d'après nous, à sa perception trop restreinte du jeu qui ne laisse pas place aux types de jeux non-compétitifs tels qu'identifiés par Roger Caillois (1958). Retour texte

9Le deuxième livre est intitulé The Two Towers et le troisième The Return of the King. Retour texte

10Dans le cas de T2T, un joueur ne peut choisir les noms des personnages principaux des romans de Tolkien (Gandalf, Aragorn) ou les noms des Dieux. De plus, deux personnages ne peuvent avoir exactement le même nom. Retour texte

11À ce sujet voir Turkle 1996 et Cherny 1994. Retour texte

12Il est aussi possible de donner une commande alphanumérique permettant de se déplacer d'un nombre inférieur à dix de salles (ex. 5e = 5 salles vers l'est). Retour texte

13Il existe certains objets qui, une fois acquis par le personnage, restent toujours en sa possession. Ces objets ont souvent un statut particulier dans le MUD, comme les message stones décrites dans la note 17, ou sont devenus partie intégrante du personnage, tels les grimoires magiques ou les objets d'adhésion aux guildes (voir section D). Retour texte

14Les personnages de la classe des voleurs (thieves) sont capables de voler ces objets sans avoir à tuer leur propriétaire d'abord. Retour texte

15Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, des messages de nature non verbale pourront être décelés à l'intérieur de ces transmissions verbales. Retour texte

16Les commandes tell, say et comm possèdent toutes des raccourcis de clavier soit, " pour tell, ' pour say et ^ pour comm. Retour texte

17Afin de pouvoir utiliser les commandes tell, comm, who qui permet de savoir quels personnages sont présentement branchés et la commande ignore qui permet d'ignorer les messages tell et comm envoyés par les personnages choisis, le personnage doit détenir une pierre magique appelée message stone. Retour texte

18Différents types d'objets peuvent aussi émettre des messages s'apparentant aux emotes lorsque des personnages les manipulent. Par exemple après qu'un personnage ait bu une bouteille de bière, un message indiquant que ce dernier titube sera diffusé aux personnages se trouvant dans la même salle sans que le joueur le contrôlant n'ait effectué un emote (ex. Paul wobbles drunkinly). Retour texte

19Aussi appelés smiley faces. Retour texte

20Tableau inspiré du tableau 1 de Cherny (1995: 3). Retour texte

21L'action de devenir dieu est dite: to immort. dérivée de to immortalize. Retour texte

22Les mariages virtuels sont des cérémonies effectuées sur le MUD où deux personnages se marient tandis que le cybersexe consiste à envoyer, dans le MUD, des messages de nature érotiques à ses partenaires sexuels. Retour texte

23Le viol virtuel peut être effectué de différentes manières mais il consiste toujours à obliger un autre personnage à faire ou à recevoir des gestes, à l'aide de fonctions telles emotes et socials, contre son gré. On peut trouver l'analyse d'un tel viol dans l'article de Julian Dibbel (1993). Retour texte

24Par exemple: (notes de terrain: 1996)

Erenad has just been NUKED. Retour texte

25À première vue, l'aspect improductif du jeu pourrait ne pas être présent dans un MUD puisque les personnages des joueurs se développent dans le temps grâce aux actions des joueurs. Cependant, la caractéristique de l'improductivité identifiée par Caillois se situe à un niveau pratique et même économique. Pour lui, le jeu ne doit pas produire de biens matériels. Par conséquent, il est possible d'insérer les activités des joueurs d'un MUD dans la définition de jeu de Caillois car celles-ci ne produisent aucuns biens concrets hors du contexte du jeu. Retour texte

26 "Role-playing games [...] stand betwixt and between the unreal and the real; they are a game and something more. [...]. Although it had this complicated relationship with real life, in the final analysis, Julee's experience fits into the category of game because it had a specified duration. [...]. In MUDs, however, the action has no set endpoint. The boundaries in MUDs are fuzzier. They are what the anthropologist Clifford Geertz refers to as blurred genres. The routine of playing them becomes part of their players' real lives." Retour texte

27Dans un de ses ouvrages portant sur la communication non verbale paru en 1988, Bodily Communication, il identifie une quatrième fonction: la fonction rituelle. (Argyle 1988: 5) Retour texte

28Kendon, dans son introduction au recueil d'articles, nous apprend que pour Ekman et Friesen, un comportement peut avoir un sens idiosyncratique (pour une seule personne) ou partagé. Un comportement à sens partagé est dit informatif s'il transmet de l'information à une personne autre que l'émetteur et est dit communicatif seulement si l'émetteur avait l'intention de transmettre l'information perçue. Ce même comportement est dit "interactif" s'il influence les comportements d'une personne autre que l'émetteur lors d'une interaction. (Kendon 1981 : 8) Retour texte

29Voir note précédente. Retour texte

30 "[...]all the ways in which communication is effected between persons when in each other's presence, by means other than words. It refers to the communicational functioning of bodily activity, gesture, facial expression and orientation, posture and spacing, touch and smell, and of those aspects of utterance that can be considered apart from the referential content of what is said." Retour texte

31"[...] the situation that results from the conscious or uncouscious, intended or unintended mutual message exchange and mental or physical activity elicitation between two or more individuals." Retour texte

32Par exemple: barrière culturelle-linguistique, barrière bloquant la vue mais pas le son et vice-versa, distance trop grande, trop de bruit, noirceur, aveuglement, surdité, conversation téléphonique. (Poyatos 1983: 85-89) Retour texte

33Terme inspiré du terme de Poyatos, kinesic, que j'utiliserai pour représenter le système lié à la kinétique (voir page 72). Retour texte

34Figure inspirée de Poyatos (1983: 5). Retour texte

35La durée entre l'envoi et la réception du message dépend de l'achalandage du serveur et du réseau Internet à chaque moment. Lorsque l'achalandage est grand, une plus forte charge est demandée aux serveurs informatiques qui doivent alors effectuer plusieurs opérations à la fois, ce qui peut ralentir la communication. Retour texte

36Il est possible d'enregistrer les interactions prennant place sur les MUDs à l'intérieur de fichiers appellés logs. Lorsqu'ils sont ouverts, ces fichiers enregistrent tout ce qui apparait à l'écran. Cest d'ailleurs une des méthodes que j'ai utilisée afin de recueillir des données dans le MUDs. Toutefois, comme l'indique Reid: "Virtual interaction loses emotional and social meaning when transposed to a computer file and re-read. The pauses, breaks, disjunctions, speed and timing of virtual conversations are lost in such transposition, and such factors are a crucial signifier of meaning and context on MUDs." (Reid 1994: 21). Nous y reviendrons. Retour texte

37D'autres systèmes corporels existent tels les systèmes dermiques, chimiques, etc. Toutefois, selon Poyatos, leur utilisation reste marginale lors des interactions entre humains. Retour texte

38 "[...] the nonverbal voice qualities, modifiers and sounds produced or conditioned in the areas covered by the supraglottal cavities (from the lips and the nares to the pharynx), the laryngeal cavity and the infraglottal cavities, down to the abdominal muscles, as well as the intervening silences of varying lenght, which we use consciously or unconsciously supporting or contradicting the linguistic, kinesic or proxemic messages mainly, either simultaneously or alternating with them." Retour texte

39 "[...] egressive and ingressive single or compond sounds, articulated or not, produced or shaped int the areas coverd by the supraglottal cavities (nares, nasal chamber, nasopharynx, mouth, pharynx), the laryngyeal cavity, the infraglottal cavities, the diaphragm, and the abdominal muscles, as well as communicative silences; they do not affect the verbal utterance, but are modified by primary qualities, qualifiers and kinesic activity, and occur either isolated or alternating with verbal language and kinesic constructs." Retour texte

40 "[...] the consious or unconscious psychomuscularly-based body movements and intervening or resulting still positions, either learned or somatogenic, of visual, visual-acoustic and tactile or kinesthetic perception, that, whether isolated or combined with the linguistic and paralinguistic structures and with other somatic and objectual behavioral systems, possess intended or unintended communicative value." Retour texte

41 "[...]conscious or unconscious body movements made mainly with the head, the face alone or the limbs, learned or somatogenic, and serving as a primary communicative tool, dependent or independent from verbal language, either simultaneous or alternating with it and modified by the conditioning background (e.g., smiles, eye movements, a gesture of beckoning and other emblems, a tic);" Retour texte

42 "[...] people's conception, use and structuration of space, from their built or natural surrounding to the distances consciously or inconsciously maintained in personal interaction;" Retour texte

43Edward T. Hall, 1966, The Hidden Dimension, Doubleday: New York Retour texte

44 "[...] our conceptualization and handling of time as a biopsychological and cultural element lending specific characteristics to social relationships and to the many events contained within the communicative stream, from linguistic syllables and flitting gestures to meaningful glances and silences." Retour texte

45Par exemple, un joueur possédant un personnage fantastique évoluant dans un monde du même type qui parle avec un autre joueur d'une partie de soccer qu'il a vue à la télévision. Retour texte

46Puisque les transcriptions paralinguistiques ne sont pas des fonctions informatiques de communication, elles doivent être véhiculées par les autres fonctions telles les emotes, les socials et les fonctions verbales (say, tell, etc.). Retour texte

47Comme on peut le voir dans la liste de socials fournie en annexe, certains socials sont en fait des énoncés souvent humoristiques possédant comme mots clé des formes orthographiquement incorrectes d'un autre mot clé. Par exemple, on retrouve le social "grni" qui fait référence à l'incapacité du joueur à tapper correctement le social "grin". Retour texte

48Ce ne sont pas tous les signes de ponctuation qui sont communicatifs. En effet, certains tels les deux-point ou le point peuvent servir à des fins purement syntaxiques. Retour texte

49Il est important de noter la nature particulière de la relation qu'entretiennent les joueurs avec la réalité virtuelle du MUD. Dans la vie quotidienne, toute interaction prend place à l'intérieur des deux dimensions primaires du temps et de l'espace. Par conséquent tout comportement possède des aspects proxémiques et chronémiques. C'est cette réalité qui donne aux systèmes proxémiques et chronémiques leur nature englobante. Les relations entre le temps, l'espace et les actions y prenant place sont perçues directement par les individus grâce à leurs sens. Dans le cas de la littérature, la perception de ces deux dimensions ne s'effectue que grâce aux représentations graphiques offertes par l'auteur du texte (ex. description des relations spatiales entre les personnages, description des aspects chronémiques des comportements, représentation de la longueur des silences grâce à l'utilisation de la répétition de certains signes de ponctuation (ex. points de suspension)). Dans le cas des MUDs, une situation intermédiaire est observée. En effet, bien que la perception de l'espace et du temps se fasse à travers les représentations graphiques offertes par l'environnement, une partie de la perception du temps s'effectue de façon directe par les joueurs. Il leur est en effet possible d'observer à l'écran le rythme d'émission des différents énoncés des participants à une conversation. Toutefois, cet aspect chronémique qui véhicule beaucoup d'information sur le contexte de la conversation (voir le citation de Reid à la note 36) nous échappe lorsque nous observons la transcription d'une conversation. Retour texte

50Leur intégration au groupe des formes implicites pourrait être tout aussi bien acceptable. Retour texte

51Tel qu'expliqué à la page 79. Retour texte

52Mon personnage est un magicien de race Sindar que j'ai nommé Nolandir ce qui signifie dans la langue elfique Sindar "le pèlerin du savoir". Retour texte

53Ce symbole m'indique le nombre de point de vie (HP) et d'endurance (EP) (voir chapitre 2) que mon personnage possède à ce moment précis (60 chacun). Retour texte

54In real life: dans la vraie vie. Hors du contexte du MUD. Retour texte

55Certains personnages féminins vont utiliser à la place de bow l'action curtsey. Retour texte

56Cependant, les actions décrites par ces emotes peuvent avoir des résultats émotifs réels pour les joueurs contrôlant les personnages. Certains joueurs pourront s'offusquer ou même se sentir agressés par un personnage qui commettrait des actes leur déplaisant (ex. embrasser, toucher). C'est d'ailleurs ce type de comportements qui constitue ce qui est habituellement défini par les utilisateurs de l'Internet comme un viol virtuel (voir chapitre 2 note 23). Retour texte

57L'utilisation de ces emotes au lieu de la locution say semblerait être expliquée, d'après l'auteure, par le fait que l'usage de la troisième personne impose un ton plus distant ou autoritaire aux propos du joueur. Retour texte

58Cette transcription est véhiculée par un emote à travers le canal commun (comm) à la ligne 3. Retour texte

59Je n'ai pas tenu compte des signes structuraux tels les 28 deux-points et les 24 points ayant été produits automatiquement par l'utilisation des fonctions say et socials, ainsi qu'un point d'exclamation ayant été produit dans un social. Retour texte

60On peut aussi remarquer que certains éléments chronémiques sont sous-entendus par l'utilisation des points de suspension et d'un des deux points (ligne 12). Retour texte

61Poyatos place l'action de pleurer dans le système de la paralinguistique. J'ai par conséquent suivi son exemple lors de mon analyse. Retour texte

 

Appendice A: Liste des socials et de leur résultat. retour au début

? crack hop pounce spank

achoo cringe howl pout spin

ack cry hug prod spit

afk cuddle huggle puke stagger

afk2p cul8r huh punch stare

agree curse idle quibble stifle

ah curtsey imho raise stomp

ak dance jump rbow stretch

applaud daze kick remaule strip

arc dive kiss roll strut

avert doh kneel rotfl sulk

babble drool lag rshake sway

back duck laugh rub sweat

bap excite laughw ruffle tackle

barf faint leer rule tango

battlecry fart lick salute tap

bbar fclap listen schwing tender

beam fish lkiss scowl thank

beep fkiss love scratch think

beg flex massage scream thnkain

bgrin flip mglint shake thnkval

bing flirt mgrin sheep tickle

bite flog moan shiver tongue

blink flop mosh shrug tremble

blush frown mutter shudder tsk

boggle gag nibble sigh ttyl

bonk gasp nibble\t sing twiddle

bounce giggle nod slap twitch

bow girn noise slobber waggle

brb glare nolag slump wait

bucket greet np smiel wave

buddha grimace nudge smile wet

burp grin oif smirk whisper

cackle grni pace smooch whistle

caress groan passout snap wince

chant grovel pat snarl wink

cheer growl peer sneer wipe

chortle grumble pet sneeze wobble

chuckle grunt pillow snicker woh

clap hand ping sniff womble

comfort high play snore yawn

cool hiss point snort zip

cough hmm poke snuggle

cower hold ponder sob

Résultats:

>?

You have a questioning look on your face.

> achoo

You sneeze violently and rub your puffy red eyes.

>ack

You ack!

> afk

You afk.

> afk2p

You go off to pee happily.

> agree

You agree wholeheartedly.

> ah

You say 'ah'.

> ak marina

You acknowledge her existence.

> applaud

You applaud vigorously.

> arc

You arc a curious eyebrow.

> avert

You avert your eyes.

> babble

You babble on endlessly.

> back

You are back.

>bap marina

You bap marina.

> barf marina

You barf noisily on Marina.

> battlecry

You let loose with an ear-piercing battle cry!

> bbar

You will be back after reboot...

> beam

You beam brightly.

> beep marina

You beep Marina.

> beg marina

You beg Marina for mercy.

> bgrin

You grin hugely at.

> bgrin marina

You grin hugely at marina.

> bing marina

You bing happily at Marina.

> bite

You bite yourself.

Ouch!

> bite marina

You bite Marina.

> blink

You blink.

> blush

You blush.

> boggle

You boggle at the concept.

> bonk

You bonk yourself on the head.

> bonk marina

You bonk Marina on the head.

> bounce

You bounce around.

> bow

You bow suavely.

> brb

You will be right back...

> bucket marina

You go 'Bucket!' at Marina.

> buddha

You feel like Buddha for just a moment.

> burp

You burp rudely.

> cackle

You throw your head back and cackle with glee.

> caress marina

You gently caress Marina.

> chant

You start to sway and chant KILL, KILL, KILL!

> cheer

You let out a resounding cheer.

> chortle

You chortle.

> chortle marina

You chortle marina.

> chuckle

You chuckle.

> clap

You clap your hands enthusiastically.

> comfort

You emit comforting noises.

> cool

You think that is really cool.

> cough

You cough.

> cower

You cower in fear.

> crack

You crack your knuckles.

> cringe

You cringe.

> cry

You cry.

> cuddle marina

You cuddle Marina.

> cul8r

You say 'See you later'.

> curse

You swear loudly for a long time.

> curtsey

You curtsey gracefully.

> dance

You dance to a tune no one else hears.

> daze

You daze into space.

> dive

You dive for cover.

>doh

You slap your forehead and say: doh!.

> drool

You drool on the floor most disgustingly.

> duck

You duck.

> excite marina

The hormones race through your body as you begin to fondle Marina.

> faint

You faint dead away.

> fart

You let loose a noisome stench!

> fclap marina

You clap a hand over Marina's mouth.

> fish

You go fish.

> fkiss marina

You pull Marina close and give her a long french kiss.

> flex

You try to imitate Tulkas and strike a double-bicep pose.

> flip

You flip head over heels.

> flirt

You flirt.

> flog marina

You flog Marina.

> flop

You flop helplessly.

> frown

You frown.

> gag

You gag on a spoon.

> gag marina

You gag marina.

> gasp

You gasp in astonishment!

> giggle

You giggle.

> girn

You try to grin, but forget how to type.

> glare

You glare stonily into space.

> greet marina

You greet Marina.

> grimace

You grimace.

> grin

You grin evilly.

> grni

You try to grin but forget how to spell.

> groan

You groan.

> grovel

You grovel shamelessly.

> growl

You growl.

> grumble

You grumble.

> grunt

You grunt.

> hand marina

You briefly shake Marina's hand.

> high marina

You give Marina a big HIGH FIVE!!

> hiss

You hiss violently.

> hmm

You hmm.

> hold marina

You hold Marina close.

> hop

You hop.

> howl

You howl demonically.

> hug marina

You hug Marina.

> huggle marina

You huggle Marina.

> huh

You huh.

> idle

You sit peacefully for a while...

> imho

You say: In my humble opinion.

> jump

You jump up and down.

>kick

You kick a field goal.

> kick marina

You kick Marina.

> kiss

You throw up your arms, blowing kisses to the crowd.

> kiss marina

You kiss Marina.

> kneel

You kneel humbly.

> lag

You wave your arms over your head in slow motion groaning "l a a g!".

> laugh

You fall down laughing.

> laughw marina

You laugh WITH Marina, certainly not at her.

> leer marina

You leer at Marina.

> lick

You lick your lips.

> lick marina

You lick Marina.

> listen

You listen.

> lkiss marina

You slowly wrap your arms around Marina and kiss her passionately.

> love

You desperately wish you had someone to love.

> love marina

You tell Marina you love her.

> massage marina

You start giving Marina a tender massage.

> mglint

You get a mischievious glint in your eyes.

> mgrin

You grin mischieviously.

> moan

You moan.

> mosh

You mosh madly around the room!!

> mutter

You mutter.

> nibble marina

You nibble on Marina's ear.

> nibble\t marina ear

You nibble on Marina's ear.

> nod

You nod.

> noise

You make silly noises.

> nolag

You wave your arms over your head really quickly groaning "No lag at all!!".

> np

You say: No problem.

> nudge marina

You nudge Marina.

> oif

You say "oif!".

> pace

You pace up and down, up and down, up and down.

> passout

You passout.

> pat marina

You pat Marina on the back.

> peer

You peer around suspiciously.

> pet marina

You pet Marina lovingly on the head.

> pillow marina

You smack Marina with your pillow!

> ping marina

You ping Marina.

> play

You sit down and play with your toys.

> point marina

You point at Marina.

> poke marina

You poke Marina in the tummy.

> ponder

You ponder something.

> pounce marina

You pounce on Marina.

> pout

You pout.

> prod marina

You prod Marina gently.

> puke

You blow chunks!

> punch marina

You haul off and belt Marina in the face!

> quibble marina

You quibble with Marina.

> raise

You raise an eyebrow.

> rbow

You return the bow.

> remaule

You remember Aule, Father of Arda, One of the Mighty Valar. He will be missed.

> roll

You roll your eyes.

> rotfl

You roll on the floor laughing.

> rshake

You rshake.

> rub marina

You rub Marina's neck.

> ruffle marina

You ruffle Marina's hair.

> rule

You rule!

> salute marina

You salute Marina.

> schwing

You go: Sch-wing!

> scowl

You scowl fiercely.

> scratch

You scratch your head.

> scream

You scream.

> shake

You shake your head.

> sheep

You look rather sheepish.

> shiver

Brrrrrrrrrrr.

> shrug

You shrug.

> shudder

You shudder.

> sigh

You sigh.

> sing

You sing: da doo run run, da doo run run.

> slap

You slap your knee and start laughing uncontrollably.

> slobber

You slobber.

> slump

You slump unhappily in a corner.

> smiel

You try to smile, but forget how to type.

> smile

You smile.

> smirk

You smirk in amusement.

> smooch

You give a wet and sloppy smooch!

> smooch marina

You give a wet and sloppy smooch!

> snap

You snap your fingers.

> snarl

You snarl fiercely.

> sneer

You sneer in derision.

s> neeze

You sneeze.

> snicker

You snicker insanely.

> sniff

You sniff sadly.

> snore

You snore loudly.

> snort

You snort in amusement.

> snuggle marina

You snuggle up to Marina.

> sob

You sob uncontrollably.

> spank marina

You give Marina a good spanking!

> spin

You spin around in circles.

> spit

You spit on the floor rudely.

> stagger

You nearly fall over, staggering about like a drunken sailor.

> stare

You stare dreamily into space.

> stifle

You stifle a giggle.

> stomp

You stomp angrily.

> stretch

You stretch like a cat.

> strip

You go nuts and strip off all your clothes.

> strut

You strut your stuf(tm)!

> sulk

You go off and sulk in a corner.

> sway

You sway back and forth, holding a torch over your head.

> sweat

You sweat.

> tackle marina

You tackle Marina!

> tango marina

You tango with Marina passionately!

> tap

You tap your foot impatiently.

> tender marina

You pull Marina's lips to yours and kiss her softly.

> thank marina

You thank Marina.

> think

Don't hurt yourself!

> thnkain

You thank the mighty Ainur for their work.

> thnkval

You thank the Valar for their work.

> tickle marina

You tickle Marina incessantly.

> tongue

You stick your tongue out at the world.

> tongue marina

You stick your tongue out at Marina.

> tremble

You tremble in anticipation.

> tsk

You tsk.

> ttyl

You say 'Talk to you later'.

> twiddle

You twiddle your thumbs.

> twitch

You twitch nervously.

> waggle marina

You waggle your finger disapprovingly at Marina.

> wait

You wait.

> wave

You wave.

> wave marina

You wave at Marina.

> wet

You wet your pants laughing.

> whisper marina hi

You whisper to Marina: hi

> whistle

You whistle innocently.

> whistle marina

You whistle marina.

> wince

You wince just from the thought of it.

> wipe

You wipe your nose.

> wobble

You wobble slightly before falling flat on your face!

> womble

You womble.

> woh

You say, "woh!" and take a step back!

> yawn

You yawn.

> zip

You zip around the room.

 

 

Appendice B: Une transcription brute de conversation sur T2T retour au début

Lianne enters.

Lianne leaves west.

Greny enters.

Greny leaves west.

^ Michel has nothing against Elves - heck, some his best friends aer Elves

The Gaffer says: Blast that Sandyman and his dang burned Mill!

^ Vent: Because he wasn't named. What happens if a new player comes on and

wants to be this un-named elf?

Nathel enters.

Fed enters.

Nathel leaves east.

Fed leaves east.

Kaverne enters.

Kaverne leaves east.

The Gaffer looks at you and says: Things ain't what they used to be here.

l ga

The Gaffer looks at you and says: Things ain't what they used to be here.

ffer

This is the Old Gaffer, father of Sam Gamgee. He's homeless now since

they tore down his house to build the Mill and just sits along the road.

It's well known that he doesn't like the new Boss and his gang of thugs and

would help anyone that wanted to take up arms against them. He sees you and

says: "Let's see you smile youngster... I'll give you a hand if you do."

He mutters something about how you're new around here and could use the help.

He is empty handed.

>

^ Corak: Uhh, that was me in disguise.

Riona enters.

Riona leaves west.

^ Vent shrugs, "Ain't got a name.....ain't got an identity. You never

existed."

Tika enters.

Tika leaves east.

The Gaffer looks at you and says: Things ain't what they used to be here.

^ Milarden: I've been playing him for nearly 58 days I think I have some claim by

now.

The Gaffer says: Blast that Sandyman and his dang burned Mill!

legend vent

Vent keeps going and going and going....

Rank: Lord (male)

On for: 2h 24m 53s

Age: Older then dirt

In other worlds known as The Dark Elf(a-mathol@microsoft.com)

Plan:

To look out upon Arda from his seat atop Barad-Dur and know

that none shall survive.....

>

[ Amruin ] Noilik: afk to do spanish homework

[ Amruin ] Milarden: see ya

The Gaffer says: Blast that Sandyman and his dang burned Mill!

The Gaffer says: Blast that Sandyman and his dang burned Mill!

^ Other: yes u have claim to being milarden u don't have claim to being

described in the book...

[ Amruin ] Lance waves

Biork enters.

Biork leaves east.

Marek enters.

[ Amruin ] Banff waves

Marek looks at Aladir.

Marek leaves west.

l

This is the road that connects Hobbiton and Bywater. At one time it

was smoothly paved with flagstone, but now most of the road has fallen into

disrepair. To your west you can see the gardens of Hobbiton while eastward

you see the town of Bywater tucked in near its lake.

The only obvious exits are west and east.

Aladir [disconnected]

The old Gaffer, sitting along the road

> l aladir

He is carrying:

A wooden shield (worn).

A wooden sword (wielded).

A message stone.

>

^ Vent: I could start spewing off rules of the game like only AInur can have

claims to characters in the book...but its not worth it...I have to go

build a guild that never existed...

^ Milarden: good.

The Gaffer looks at you and says: Things ain't what they used to be here.

^ Vagabond grins

Ila enters.

Ila leaves east.

e

You are strolling down the road between Hobbiton and Bywater. The road

winds around a few rolling hills, many of which are barren since the factory

was built. Hobbiton lies to the west while Bywater is just over the next hill

to the east.

The only obvious exits are west and east.

>

Pirgor enters.

Pirgor leaves east.

Biork enters.

Biork leaves west.

e

Tika enters.

You have entered the town of Bywater. To your east is the Green

Dragon, and to the south a dense ivy bush runs parallel to the road.

To the north is the Bywater pool, a favorite resting spot.

A sign for new characters is posted here.

The only obvious exits are west, east, south and north.

A message stone

Bywater Newbie Board [22 notes, 21 new]

> n

You stand before the Bywater Pool. It's a serene place,

a perfect place to sit down and reflect. The loud croaking

of the frogs is kind of annoying, though.

The only obvious exit is south.

Blaze the dwarf Scout (Moral)

> bow blaze

You bow to Blaze with deeply felt humility.

>

Blaze nods.

l blaze

Blaze, looks back at you,and bowing meekly says Iam but a humble servant...

As you look him over you notice he is dressed in soft colors,his grey-green cloak

though torn in some places seems to blend in with his surrondings. His boots,some sort of soft woven leather,are caked with mud from many days of travel throughtout the land. Though slightly small in stature he is broadly muscled and not quite as heavy set as some of his dwarven kin. Looking into his face you are greeted with a warm smile,his dark hair falling off his brow into his deep blue eyes...those eyes,while almost intimidating,seem to hold a certain charm. Taking one last look you notice a small vial hanging from around his neck with a pressed herb in it,a tribute from his mentor,and a constant reminder that very few would understand.

He is carrying:

A message stone.

>

Blaze smiles.

[ Amruin ] Milarden: 1 1/2 hours on armoury

wave

You wave happily.

> s

You have entered the town of Bywater. To your east is the Green

Dragon, and to the south a dense ivy bush runs parallel to the road.

To the north is the Bywater pool, a favorite resting spot.

A sign for new characters is posted here.

The only obvious exits are west, east, south and north.

A message stone

Bywater Newbie Board [22 notes, 21 new]

> e

This is the main road through Bywater. Ruts have been formed in the

road from the frequent wagon travel to Bywater. The main street gives

access to all the needs of a weary traveller. To your east lies the

Green Dragon, a very popular inn in these parts.

The only obvious exits are west, east, south and north.

> e

As you enter the Green Dragon, you take a long look around the room.

It is a very cozy looking place, with several tables and a bar that

stretches across the back of the room. A very comfortable booth

sits near the bar. You feel like you are being watched. The owner is

known to be a little suspicious of strangers.

The only obvious exits are west, down, booth and bar.

A table

A stool

A chair

> l booth

You hop into the booth on the side of the bar. The distance from

the noisy bar offers you a place for quiet and discreet conversation.

The table is wood, and is engraved with many carvings and notes. The

seats are so comfortable, you think you could fall asleep here...

A menu sits on the table, in case you want to order a drink.

The only obvious exit is out.

Corak the hobbit Pickpocket (Impartial)

Marigold cleans a nearby table.

A trash can

An old table, covered with carvings [22 notes, 22 new]

> l corak

Vorchak enters.

You don't see that here.

>

Vorchak leaves west.

l

As you enter the Green Dragon, you take a long look around the room.

It is a very cozy looking place, with several tables and a bar that

stretches across the back of the room. A very comfortable booth

sits near the bar. You feel like you are being watched. The owner is

known to be a little suspicious of strangers.

The only obvious exits are west, down, booth and bar.

A table

A stool

A chair

> booth

You hop into the booth on the side of the bar. The distance from

the noisy bar offers you a place for quiet and discreet conversation.

The table is wood, and is engraved with many carvings and notes. The

seats are so comfortable, you think you could fall asleep here...

A menu sits on the table, in case you want to order a drink.

The only obvious exit is out.

Corak the hobbit Pickpocket (Impartial)

Marigold cleans a nearby table.

A trash can

An old table, covered with carvings [22 notes, 22 new]